Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/139

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daly, étant avertie d’un voyage, y sera tout à fait irréprochable. Un peu somnolente et taciturne peut-être, ne parlant, enfin, qu’à vous seul, très bas et à de rares intervalles : mais, pour peu qu’elle soit assise auprès de vous, il est complètement inutile, même, qu’elle baisse son voile. Oh ! de jour ou de nuit. D’ailleurs, vous voyagez seul, je suppose, mon cher lord ? Eh bien ! quelle difficulté voyez-vous ? Elle défiera tous les regards humains.

― Telle circonstance ne saurait-elle se présenter où la parole puisse lui être adressée légitimement ?

― Auquel cas vous répondez que cette dame est étrangère et ne connaît point « la langue du pays » ce qui clôt l’incident. ― Toutefois, à bord, par exemple, comme la simple question de l’équilibre est déjà très appréciable pour nous-mêmes, je vous dirai que miss Hadaly n’a pas, inscrites en elle, de ces longues traversées… au cours desquelles bon nombre de nos vivantes, si le tangage est rude, demeurent comme inanimées dans leurs hamacs, où de subites crises drastiques les secouent, tristement, jusqu’au ridicule. ― Étrangère à ces infirmités, Hadaly, pour ne point humilier, par sa sérénité, les organismes défectueux de ses humaines compagnes de route, ne voyage en mer qu’à la manière des mortes.

― Quoi ! dans l’un de nos cercueils ? demanda lord Ewald surpris.

Edison, grave, inclina la tête en un silence affirmatif.

― Mais, ― non point cousue en un suaire, j’imagine ? murmura le jeune lord.

― Oh ! vivante œuvre d’art, n’ayant pas connu