Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/18

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

forte et vivace, du songeur ― se détendait et se laissait insensiblement séduire par les attirances de la rêverie et du crépuscule.


II

Phonograph’s papa


« C’est lui !… Ah ! dis-je en ouvrant de grands yeux dans l’obscurité : c’est l’Homme au sable !… »
Hoffmann, Contes nocturnes.


Bien que son visage aux tempes grisonnantes donne toujours l’idée d’un enfant éternel, Edison est un passant de l’école sceptique. Il n’invente, dit-il, que comme le blé pousse.

Froid et se rappelant des débuts amers, il a le sourire chèrement payé de ceux dont la seule présence dit au prochain : «  ― Deviens, je suis. » ― Positif, il n’estime les théories les plus spécieuses qu’une fois dûment incarnées dans le fait. « Humanitaire », il tire plus de fierté de ses labeurs que de son génie. Sagace, toutefois, lorsqu’il se compare, il désespère d’être dupe. Sa manie favorite consiste à se croire un ignorant, par une sorte de fatuité légitime.

De là cette simplicité d’accueil et ce voile de franchise rude, ― parfois, même, d’apparence familière, ― dont il enveloppe la glace réelle de sa pensée. L’homme de génie avéré, qui eut l’honneur d’être pauvre, évalue toujours, d’un coup d’œil, le passant qui lui parle. Il sait peser au carat les mobiles secrets de l’admiration, en nettifier la probité et la qualité, en déterminer le degré sincère,