Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/198

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les salissants désirs que couvent les fumées du sang et de la chair ! Certes, puisque mon ami Edward Anderson succomba, c’est que le germe en était dans son cœur, comme en des limbes ― et je ne l’excuse ni ne le juge ! Mais je déclare, avant tout, passible d’une capitale pénalité, l’être pestilent dont la fonction fut d’en faire éclore, savamment, l’hydre aux mille têtes. Non, cet être ne fut point, pour lui, cette Ève ingénue que l’amour, ― fatal, sans doute ! ― mais, enfin, que l’amour égara vers cette Tentation qui, pensait-elle, devait grandir, jusqu’à l’état divin, son compagnon de paradis !.. Ce fut l’intruse consciente, désirant d’une façon secrète et natale, ― pour ainsi dire malgré elle, enfin, ― la simple régression vers les plus sordides sphères de l’Instinct et l’obscurcissement d’âme définitif de celui… qu’elle ne tentait qu’afin de pouvoir en contempler, un jour, d’un air d’infatuée satisfaction, la déchéance, les tristesses et la mort.

Oui : telles sont ces femmes ! jouets sans conséquences pour le passant, mais redoutables pour ces seuls hommes, parce qu’une fois aveuglés, souillés, ensorcelés par la lente hystérie qui se dégage d’elles, ces « évaporées » ― accomplissant leur fonction ténébreuse, en laquelle elles ne sauraient éviter elles-mêmes de se réaliser, ― les conduisent, forcément, en épaississant, d’heure en heure, la folie de ces amants, soit jusqu’à l’anémie cérébrale et le honteux affaissement dans la ruine, soit jusqu’au suicide hébété d’Anderson.

Seules, elles conçoivent l’ensemble de leur projet. Elles offrent, d’abord, comme une pomme insi-