Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/201

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sards prévus, bondit sur elle, l’enlace, lui ment et l’enivre selon son métier, ― et, se vengeant, en elle-même, aussi, de celle qui, là-bas, irréprochable, laborieuse et chaste, avec de beaux enfants, attend, dans l’anxiété, ce mari follement attardé pour la première fois, ― voici, dis-je, qu’elle corrode, en une nuit, d’une goutte de son ardent venin, la santé physique et morale de cet homme.

Le lendemain, si quelque juge pouvait l’interroger, elle répondrait, impunément, « qu’au moins, une fois réveillé, cet homme est bien libre de se défendre en ne revenant plus chez elle… » (alors qu’elle sait bien, ― puisqu’au fond de son redoutable instinct elle ne sait même que cela, ― que cet homme, entre tous les autres, ne peut déjà plus se réveiller tout à fait d’elle sans un effort d’une énergie dont il ne se doute pas et que chaque rechute, ― provoquée, sans cesse, par elle, obscurément, ― rendra de plus en plus difficile) !… ― Et le juge, en effet, ne saurait que répondre ni statuer. Et cette femme, poursuivant son œuvre odieuse, aura le droit de pousser, nécessairement de jour en jour, son aveugle vers ce précipice ?

Soit. Seulement, que de milliers de femmes n’a-t-on pas exécutées pour de moins tortueux attentats ? ― C’est pourquoi, l’homme étant solidaire de l’homme, si mon ami ne fut pas le justicier de cette « irrésistible » empoisonneuse, j’ai dû savoir ce que j’avais à faire.

Des esprits soi-disant modernes, c’est-à-dire tarés par le plus sceptique des égoïsmes, s’écriraient, en m’écoutant :

«  ― Ah çà ! que vous prend-il ? De tels accès de