Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/211

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

avait sous la semblance de l’autre. Je vois que vous ne vous êtes jamais bien sérieusement rendu compte des progrès de l’Art de la toilette dans les temps modernes, mon cher lord !

Puis reprenant sa voix enthousiaste :

Ecce puella ! s’écria-t-il. Voici la radieuse Evelyn Habal délivrée, échenillée de ses autres attraits. N’est-ce pas que c’est pour en mourir de désirs ! Ah ! povera innamorata ! ― Comme elle est sémillante ainsi ! Le délicieux rêve ! Quelles passions, quel noble amour on sent qu’elle peut allumer ou inspirer ! N’est-ce pas que c’est beau la simple Nature ? Pourrons-nous jamais rivaliser avec ceci ? J’en dois désespérer. J’en baisse la tête. ― Hein ? qu’en pensez-vous ?… ― Ce n’est qu’aux seules persistances de la Suggestion-fixe que je dois d’avoir obtenu cette pose. ― Dérision ! Croyez-vous que, si Anderson l’eût vue de la sorte pour la première fois, il ne serait pas encore assis à son foyer, entre sa femme et ses enfants, ce qui valait bien le reste, après tout ? ― Ce que c’est que la « toilette », pourtant ? Les femmes ont des doigts de fées ! Et, une fois la première impression produite, je vous dis que l’Illusion est tenace et se repaît des plus odieux défauts : ― jusqu’à se cramponner, avec ses ongles de chimère en démence, à la laideur, fût-elle répulsive entre toutes.

Il suffit à une « fine mouche », encore un coup, de savoir affirmer ses tares, pour s’en faire une parure mordante et en inspirer la convoitise aux inexperts insensiblement aveuglés. Ce n’est plus qu’une question de vocabulaire ; la maigreur devient de la gracilité, la laideur du piquant, la malpropreté