Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/229

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tation de ces mélancoliques soupirs est facile. Toutes les comédiennes en vendent à la douzaine, et des mieux conditionnés, pour notre illusion.

Voici les deux phonographes d’or, inclinés en angle vers le centre de la poitrine, et qui sont les deux poumons de Hadaly. Ils se passent l’un à l’autre les feuilles métalliques de ses causeries harmonieuses ― et je devrais dire célestes, ― un peu comme les presses d’imprimerie se passent les feuilles à tirer. Un seul ruban d’étain peut contenir sept heures de ses paroles. Celles-ci sont imaginées par les plus grands poètes, les plus subtils métaphysiciens et les romanciers les plus profonds de ce siècle, génies auxquels je me suis adressé, ― et qui m’ont livré, au poids du diamant, ces merveilles à jamais inédites.

C’est pourquoi je dis que Hadaly remplace une intelligence par l’Intelligence.

Voyez, voici les deux imperceptibles styles de pur acier, tremblant sur les cannelures, lesquelles tournent sur elles-mêmes, grâce à ce fin mouvement incessant de la mystérieuse étincelle : ils n’attendent que la voix de miss Alicia Clary, je vous assure. Ils la saisiront de loin, sans qu’elle le sache, pendant qu’elle récitera, en comédienne insigne, les scènes, incompréhensibles pour elle, des rôles merveilleux et inconnus où doit s’incarner à jamais Hadaly.

Au-dessous des poumons, voici le Cylindre où seront inscrits, en relief, les gestes, la démarche, les expressions du visage et les attitudes de l’être adoré. C’est l’analogie exacte des cylindres de ces orgues perfectionnés, dits de Barbarie, et