Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/237

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passion, faire envoler le rêve. De là ces rapides satiétés des amants, lorsqu’ils s’aperçoivent, ou croient s’apercevoir, à la longue, de leur vraie nature réciproque, dégagée des voiles artificiels dont chacun d’eux se parait pour plaire à l’autre. Ce n’est même qu’une différence d’avec leur rêve qu’ils constatent encore, ici ! Et elle suffit pour qu’ils en arrivent souvent au dégoût et à la haine.

Pourquoi ?

Parce que si l’on a trouvé sa joie dans une seule manière de se concevoir, ce que l’on veut, au fond de son âme, c’est la conserver sans ombre, telle qu’elle est, sans l’augmenter ni la diminuer ; car le mieux est l’ennemi du bien ― et ce n’est que la nouveauté qui nous désenchante.

― Oui, c’est vrai ! murmura lord Ewald, avec un pensif sourire.

― Eh bien ! l’Andréïde, avons-nous dit, n’est que les premières heures de l’Amour immobilisées, ― l’heure de l’Idéal à jamais faite prisonnière : et vous vous plaignez déjà de ce qu’elle ne pourra plus rouvrir ses inconstantes ailes pour vous quitter encore ! Ô nature humaine !

― Songez, aussi, répondit lord Ewald en souriant, que cet agrégat de merveilles, étendu sur ce marbre, n’est qu’un assemblage vain et mort de substances sans conscience de leur cohésion ni du prodige futur qui doit s’en dégager.

Vous pourrez troubler mes yeux, mes sens et mon esprit par cette magique vision : mais pourrai-je oublier, moi, qu’elle n’est qu’impersonnelle ? Comment aimer zéro ? me crie, froidement, ma conscience.