Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/297

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pouvait dire, seulement, qu’elle avait faim, de cette façon-là, lord Ewald s’était trompé, puisque cette seule note vivante et simple prouvait un cœur et une âme.

Mais le jeune lord, en homme qui sait l’exacte valeur de ce qui se dit autour de lui, était demeuré impassible. ― En effet, miss Alicia Clary, craignant d’avoir dit quelque chose de trivial devant des « artistes », se hâta d’ajouter, avec un sourire dont le spirituel, voulu du moins, donnait une sacrilège expression comique à la magnificence de son visage :

Ce n’est pas très poétique, messieurs ; mais il faut bien être sur la terre, quelquefois.

À cette parole, qui sembla retomber, comme une définitive pierre sépulcrale, sur l’adorable créature qui s’y était, à son insu, si totalement, si irrémissiblement traduite, à cette judicieuse parole ― qu’un Dieu seul peut pardonner et laver de son sang rédempteur, ― Edison se rasséréna : lord Ewald avait analysé juste.

― Charmant ! s’écria-t-il, d’un air de cordiale bonhomie. À la bonne heure !

Ce disant, il précéda ses convives avec un gracieux geste d’invitation.

La robe céruléenne de miss Alicia, en effleurant les piles, leur arrachait quelques étincelles perdues dans les souveraines clartés de l’appartement.

L’on prit place. Une touffe de boutons de roses thé, sertie comme par des elfes, indiquait le couvert de la jeune femme.

― Que ne vous devrai-je pas, monsieur, dit-elle,