Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/300

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décors, de nos chanteresses ? Elles sont bien, n’est-ce pas ?

― Une ou deux, assez ragoûtantes, oui, si l’on veut ? ― mais… fagotées !

― À souhait ! c’est juste ! dit Edison en riant. Les costumes d’autrefois étaient si bêtes ! ― Et comment avez-vous trouvé le Freyschütz ?

― Le ténor ?… répondit la jeune femme ― la voix un peu blanche ; distingué, mais froid.

― Se méfier de ceux qu’une femme trouve froids ! dit, tout bas, Edison à lord Ewald.

― Vous dites ? demanda miss Alicia.

― Je dis : ah ! la distinction ! la distinction ! C’est tout, dans la vie !

― Oh ! oui, la distinction ! dit la jeune femme en élevant vers les poutres du laboratoire ses yeux profonds comme un ciel d’Orient : je sens qu’il me serait impossible d’aimer quelqu’un qui ne serait pas distingué.

― Tous les grands hommes, Attila, Charlemagne, Napoléon, le Dante, Moïse, Homère, Mahomet, Cromwell, etc., étaient doués, au dire de l’Histoire, d’une distinction exquise !… ― des manières !… ― de ces mille délicatesses charmantes… qu’ils poussaient même jusqu’à la mièvrerie ! De là leur succès. ― Mais je parlais de la pièce ?

― Ah ! de la pièce ! reprit miss Alicia Clary, non sans une moue aussi dédaigneusement délicieuse que celle de Vénus regardant Junon et Diane : ― entre nous, elle m’a paru… un peu…

― Oui, n’est-ce pas ? reprit Edison (en haussant les sourcils et avec un œil atone), un peu…