Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/314

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pouvons admirer en elles, c’est-à-dire y reconnaître de nous), ― je vous l’avoue en toute sincérité, je crois avoir commis un acte d’abaissement presque indélébile en possédant cette femme : et ne sachant plus comment me racheter de cet acte, je veux du moins en punir la faiblesse, par une sorte de mort purificatrice. Bref, et quand toute la race humaine devrait en sourire, je prétends garder l’originalité de me prendre au sérieux, ayant, d’ailleurs, pour devise familiale : Etiamsi omnes, ego non.

Je vous atteste donc une dernière fois, mon cher enchanteur, que, ― sans la soudaine, curieuse et fantastique proposition que vous m’avez faite, ― tenez, je n’eusse pas entendu sonner cette heure lointaine qu’emporte le vent de ce pâle matin.

Non ! j’étais dégoûté de l’Heure, voyez-vous.

Maintenant, comme j’ai le droit de regarder le physique voile d’idéal de cette femme ainsi qu’une dépouille gagnée en un combat dont, victorieux trop tard, je sors mortellement blessé, je me permets, pour résumer l’ensemble de cette soirée sans pareille, de disposer de ce voile en vous disant : « Puisque le pouvoir de votre prodigieuse intelligence vous le permet peut-être, je vous confie, pour le transfigurer en un mirage capable de me donner un change sublime, ce pâle fantôme humain. Et si, dans cette œuvre, vous délivrez, pour moi, la forme sacrée de ce corps de la maladie de cette âme, je jure, à mon tour, d’essayer, ― au souffle d’une espérance qui m’est encore inconnue, ― de compléter cette ombre rédemptrice.

― Bien, dit Edison, pensif.