Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/332

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― Oh ! tout à l’heure ! répondit-elle : quand nous serons dans cette allée. Elle est très obscure, mon cher, et l’on ne pourra nous voir. Il s’agit d’un souci fort bizarre, je vous assure, qui m’est venu pour la première fois de ma vie ! Tout à l’heure, je vous dirai cela.

― Comme il vous plaira, répondit lord Ewald.

La soirée était trouble encore ; les longues lignes de feu rose venues du pôle boréal s’atténuaient sur l’horizon ; quelques hâtives étoiles piquaient, entre les nuées, les intervalles bleuis de l’éther ; les feuilles se froissaient avec un bruit plus âpre dans la voûte de feuillage de l’allée ; l’odeur de l’herbe et des fleurs était vivace, mouillée et délicieuse.

― Comme il fait bon, ce soir ! murmura miss Alicia Clary en frissonnant.

Lord Ewald, préoccupé, l’entendit à peine.

― Oui, dit-il, d’une voix un peu gênée où vibrait une nuance amère et presque railleuse ; mais voyons, Alicia, qu’avez-vous à me dire ?

― Mon cher lord, comme vous êtes pressé ce soir ! ― Voulez-vous venir vous asseoir sur ce banc de mousse, là-bas ?… ajouta-t-elle. Nous serons mieux pour causer et je suis un peu lasse.

Elle s’appuyait sur son bras.

― Vous n’êtes pas indisposée, Alicia ? dit-il.

Elle ne répondit pas.

Chose singulière, elle semblait soucieuse aussi, ce soir-là, miss Alicia Clary !

Était-ce quelque instinct féminin l’avertissant d’un vague danger ?

Il ne savait qu’augurer de l’hésitation de la jeune