Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/337

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jeune homme se sentait renaître dans la beauté du monde.

En cet instant, l’idée obsédante qu’Edison l’attendait en ses caveaux mortels pour lui montrer le noir prodige de l’Andréïde, traversa ses pensées.

― Ah ! murmura-t-il, étais-je donc insensé ? Je rêvais le sacrilège… d’un jouet ― dont l’aspect seul m’eût fait sourire, j’en suis sûr ! ― d’une absurde poupée insensible ! Comme si, devant une jeune femme aussi solitairement belle que toi, ne s’évanouissaient pas toutes ces démences d’électricité, de pressions hydrauliques et de cylindres vivants ! Vraiment, je remercierai tout à l’heure Edison, et sans autre curiosité. ― Il fallait que le désenchantement m’eût bien assombri la pensée pour que j’aie pu concevoir, grâce à la terrible faconde de ce cher et très admirable savant, une possibilité pareille ! ― Ô bien-aimée ! Je te reconnais ! Tu existes, toi ! Tu es de chair et d’os, comme moi ! Je sens ton cœur battre ! Tes yeux ont pleuré ! Tes lèvres se sont émues sous l’étreinte des miennes ! Tu es une femme que l’amour peut rendre idéale comme ta beauté ! ― Ô chère Alicia ! Je t’aime ! Je…

Il n’acheva pas.

Comme il levait ses yeux emparadisés et mouillés d’exquises larmes vers les yeux de celle qu’il tenait frémissante dans ses bras, il s’aperçut qu’elle avait relevé la tête et le regardait fixement. Le baiser dont il effleura ses lèvres, en aspirant leur haleine, s’éteignit tout à coup ; une vague senteur d’ambre et de roses l’avait fait frémir de la tête