Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/346

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suadé de sa pauvre réalité, te voici replongé et limité de nouveau dans ses leurres.

Ainsi, te rendormant, tu as dissipé, en effet, autour de toi, les précieuses présences évoquées, les parentés futures, inévitables, reconnues ! Tu as banni d’autour de toi les solennelles et réflexes objectivités de ton Imaginaire ; tu as révoqué en doute ton Infini sacré. Quelle est ta récompense ? Oh ! te voici tranquillisé !

Tu t’es retrouvé sur la Terre… ― rien que sur cette terre tentatrice, qui toujours te décevra, comme elle a déçu tes devanciers ! rien que sur cette terre, où, naturellement, revus de mémoire et avec des regards redevenus purement rationnels, ces salubres prodiges ne te semblent plus que nuls et vains. ― Tu te dis : ― « Ce sont là des choses du sommeil ! des hallucinations !… » ― que sais-je ? Et, te payant ainsi du poids de quelques mots troubles, tu amoindris étourdiment en toi-même le sens de ton surnaturel. À l’aurore suivante, accoudé à la fenêtre ouverte aux airs purs du matin, le cœur joyeux, rassuré par ce traité de paix douteuse avec toi-même, tu écoutes au loin le bruit des vivants (tes semblables !) qui s’éveillent aussi et vont à leurs affaires, ivres de Raison, affolés par toutes les soifs de leurs sens, éblouis par toutes les boîtes de jouets dont se paye l’âge mûr de l’Humanité qui entre en son automne.

Oubliant, alors, de quels droits d’aînesse inestimables tu payes, toi-même, en ta conscience, chaque lentille de ce plat maudit que t’offrent, avec de froids sourires, ces martyrs, toujours déçus, du Bien-être, ― ces insoucieux du Ciel, ces