Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/348

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― Ainsi, d’oublis en oublis de ton origine et de ton but véritables, malgré tous les avertissements de la nuit et du jour, tu allais préférer, ― à cause de cette infortunée et si vaine passante dont j’ai pris la voix et le visage, ― tu allais préférer de renoncer à toi-même. Pareil à l’enfant qui veut naître avant la gestation nécessaire à sa possibilité, tu avais résolu (sans frémir de l’acte impie et au mépris des sélections de plus en plus sublimes que confèrent les douleurs surmontées), tu avais résolu de devancer ton heure qui ne sonnait pas.

Mais, me voici, moi ! ― Je surviens, de la part des tiens futurs !… de ceux que tu as souvent bannis et qui, seuls, sont d’intelligence avec ta pensée. ― Ô cher oublieux, écoute un peu encore, avant de vouloir mourir.

Je suis, vers toi, l’envoyée de ces régions sans bornes dont l’Homme ne peut entrevoir les pâles frontières qu’entre certains songes et certains sommeils.

Là, les temps se confondent ; l’espace n’est plus ! les dernières illusions de l’instinct s’évanouissent.

Tu le vois : au cri de ton désespoir, j’ai accepté, de me vêtir à la hâte, des lignes radieuses de ton désir, pour t’apparaître.

Je m’appelais en la pensée de qui me créait, de sorte qu’en croyant seulement agir de lui-même il m’obéissait aussi obscurément. Ainsi, me suggérant, par son entremise, dans le monde sensible, je me suis saisie de tous les objets qui m’ont semblé le mieux appropriés au dessein de te ravir.