Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/57

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physiquement, miss Alicia Clary. Je ne me dispenserai donc pas de m’exprimer en amant et même, s’il est possible, en poète, attendu, d’abord, que cette femme, aux yeux de l’artiste le plus désintéressé, serait d’une beauté non seulement incontestable mais tout à fait extraordinaire.

Miss Alicia n’a que vingt ans à peu près. Elle est svelte comme le tremble argenté. Ses mouvements sont d’une lente et délicieuse harmonie ; ― son corps offre un ensemble de lignes à surprendre les plus grands statuaires. Une chaude pâleur de tubéreuse en revêt les plénitudes. C’est, en vérité, la splendeur de la Vénus Victrix humanisée. Ses pesants cheveux bruns ont l’éclat d’une nuit du sud. Souvent, au sortir du bain, elle marche sur cette étincelante chevelure que l’eau même ne désondule pas et en jette, devant elle, d’une épaule à l’autre, les luxuriantes ténèbres comme le pan d’un manteau. Son visage est de l’ovale le plus séduisant ; sa cruelle bouche s’y épanouit, comme un œillet sanglant ivre de rosée. D’humides lumières se jouent et s’appuient sur ses lèvres lorsque les fossettes rieuses découvrent, en les avivant, ses naïves dents de jeune animal. Et ses sourcils frémissent pour une ombre ! le lobe de ses oreilles charmantes est froid comme une rose d’avril ; le nez, exquis et droit, aux narines transparentes, continue le niveau du front aux sept gracieuses pointes. Les mains sont plutôt païennes qu’aristocratiques : ses pieds ont cette même élégance des marbres grecs. ― Ce corps est éclairé par deux yeux fiers, aux lueurs noires, qui regardent habituellement à travers leurs cils.