Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/91

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avez la noblesse, la puissance, la haute fortune, quelque avenir éclatant, si bon vous semble… vous voici sans force devant cette femme. Sur un désir, sur un signe, mille autres, tout aussi captivantes peut-être, et presque aussi belles, vous apparaîtraient ! ― Entre elles se trouveraient cent natures charmantes, dont le souvenir ne laisse que des pensées heureuses et réchauffantes ! Entre celles-ci, dix femmes au cœur solide, au nom sans tache, et, entre elles encore, une femme digne à jamais de porter le vôtre, puisqu’il est toujours une Hypermnestra sur cinquante Danaïdes.

Grâce à celle-ci, en vous projetant par la pensée à trente ou quarante années de rayonnantes et nobles joies, ― des joies de tous les jours ― vous pouvez vous voir considérant un passé sans doute même illustre ! laissant à l’Angleterre de beaux enfants, orgueilleux de votre nom et dignes de votre sang ! ― Et, au mépris de ce nombreux bonheur que le Destin vous offre, enfant gâté de la terre, de cet avenir pour lequel tant d’autres fils d’Ève joueraient mille fois la vie ou se consumeraient en luttes persévérantes, vous allez vous éteindre, vous allez abdiquer, déserter l’existence, et ceci à cause d’une femme de hasard, élue par la fatalité entre cinq millions de ses pareilles, pour que cette œuvre malfaisante soit accomplie ! ― Vous prenez cette ombre au sérieux, alors que son souvenir ne serait plus, dans quelques années, pour vous, que pareil à ces fumées enivrantes et noires qui sortent de ces insolentes cassolettes où l’on brûle du haschich ! ― Ah ! permettez-moi de vous dire que, si miss Alicia Clary préfère natalement