Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/119

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empêcher de pouvoir jamais songer à des choses trop élevées ».

L’opération leur était devenue aussi familière que l’est, pour nous, celle découper le sifflet ; — et, stérilisant quelques rudimentaires notions de lecture purement phonétique et d’écriture presque indistincte, une douce animalité progressait en leur exemplaire peuplade.

Par quel mystérieux décret du Sort, Tomolo Ké Ké, le noir orphelin, l’exception confirmant la règle, avait-il été dédaigné de la loi commune jusqu’à posséder un crâne indignement naturel ?… On ne sait. Toujours est-il que, parvenu à l’âge viril et à force de s’isoler de ses « semblables » en promenades taciturnes sous les baobabs, il avait fini par se persuader, à tort ou à raison, de cette idée originale que la terre ne devait pas finir à son île.

Fortement travaillé par cette conception bizarre, voici qu’une circonstance fortuite — comme il en arrive toujours à ces sortes de gens — vint servir ses ambitieux projets.

Au centre d’une crique sauvage, un singulier remous ayant attiré son attention, l’inventif insulaire trouva le moyen d’en explorer les profondeurs et découvrit bientôt que ce remous provenait, tout bonnement, de deux éperdus courants sous-marins, dont l’un des foyers d’ellipse (leur point de rencontre) était cette criqe même !… Une grosse branche, toute ronde, jetée dans le courant qui s’enfuyait, disparut comme l’éclair