Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/173

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Et, dans les réunions secrètes, certains des leurs, les plus éclairés, se faisaient part des « idées » que leurs jeunes savants des écoles laïques et obligatoires leur suggéraient, le soir, sous la lampe de famille, en exultant sur les genoux paternels. Les soirées, en effet, dans leurs logis, s’écoulaient, paisibles et patriarcales, en des dialogues variés sur les thèmes suivants ; (et il faut voir comme ils s’expriment avec lucidité, les jeunes élèves ! Ah ! mais ! c’est que nous ne sommes plus au temps de l’Obscurantisme !) :

— Papa ! tu ne sais pas ?… En laissant couler, comme par mégarde, par quelque nuit sans lune, sur une berge, aux abords des réservoirs des Eaux de Paris, par exemple, une de ces petites tonnes de nitro-glycérine — que, sans sortir de chez l’épicier, je pourrais te confectionner, en deux heures, pour 90 francs, — cette substance, insoluble dans l’eau, se diluerait, comme une pluie, sous le refoulage, en des centaines de milliers de gouttes huileuses, à travers les tuyaux des pompes. Le matin suivant, dans une multitude de cuisines parisiennes, au premier tour de robinet… comprends-tu ? cinq ou six gouttes, lancées, avec force, par le jet, sur les éviers, détonneraient en faisant éclater la pierre : et l’eau, vaporisée à l’instant par la température de ces gouttes de foudre — (des milliers de calories !) — en renforcerait sensiblement la déflagration. Hein ! comme ce serait amusant, alors, la « frousse » du bourgeois !

— Oui, grommelait, après réflexions, l’anar-