Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/210

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Bien que l’heure eût cessé de sonner, mademoiselle d’Aubelleyne, accoudée et attentive, paraissait écouter encore je ne sais quels sons perdus dans l’éloignement et qui, pour elle, continuaient sans doute ce minuit, car de très légers mouvements de sa tête semblaient suivre un tintement que je n’entendais plus.

— On dirait que vos pensées accompagnent, jusqu’au plus lointain de l’ombre, ces heures qui s’enfuient !

— Ah ! murmura-t-elle en mêlant les lueurs de ses yeux au rayonnement des étoiles, c’est qu’aujourd’hui fut mon dernier jour d’épreuve, et que cette heure qui sonne n’est pour moi qu’un bruit de chaînes qui se brisent, emportant loin d’ici toute mon âme délivrée !… non seulement loin de cette fête, mais hors de ce monde sensible, où nous ne sommes, nous-mêmes, que des apparences et dont je vais enfin me détacher à jamais.

À ces mots, je regardai ma voisine d’isolement avec une sorte d’inquiète fixité.

— Certes, répondis-je, en vous écoutant, je reconnais l’âme de l’enfant d’autrefois ! Mais, ce qui m’interdit un peu, c’est ce natal et si profond désir de détachement qui persiste en vous alors que la pleine éclosion de votre jeunesse et le charme mystérieux de votre beauté vous donnent des droits à toutes les joies de ce monde !

— Oh ! dit-elle, d’une voix qui me parut comme le son d’une source solitaire cachée dans une forêt, quelle est la joie, selon le monde, qui ne s’épuise — et ne se noie, par conséquent, elle-même — dans