Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/213

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la vie ne s’affirme, en vérité, que dans la conception de son néant. Dès lors, comment, même, appeler « sacrifice » (après tout !) l’abandon terrestre de cette heure dont le bon emploi peut sanctifier, seul, notre immortalité ?

Ici la sombre inspirée se détourna vers le salon du bal que l’on entrevoyait encore : sa main touchait le velours pourpre jeté sur la balustrade ; ses doigts s’appuyèrent par hasard sur la couronne de l’impérial écusson qui brillait au dehors en repoussé d’or bruni.

— Voyez, continua-t-elle ; certes, ils sont beaux et séduisants les sourires, les regards de ces vivantes qui tourbillonnent sous ces lustres ! — Ils sont jeunes, ces fronts, et fraîches sont ces lèvres ! Pourtant, que le souffle d’une circonstance funeste passe sur ces flambeaux et brusquement les éteigne ! Toutes ces irradiations s’évanouissant dans l’ombre cesseront, momentanément, de charmer nos yeux. Or, sinon demain même, un jour prochain, sans rémission, le vent de la Nuit, qui déjà nous frôle, perpétuera cet effacement. Dès lors, qu’importent ces formes passagères qui n’ont de réel que leur illusion ? Que sert de se projeter sous toute clarté qui doit s’éteindre ? Pour moi, c’est vivre ainsi qui serait déserter. Mon premier devoir est de suivre la Voix qui m’appelle. Et je ne veux désormais baigner mes yeux que dans cette lumière intérieure dont l’humble Dieu crucifié daigne, par sa grâce ! embraser mon âme. C’est à lui que j’ai hâte de me donner dans toute la fleur de ma beauté périssable ! —