Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/290

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contre les rochers de la rade s’écroulait une écume de pierreries. Le steamer se fraya passage entre les navires ; un pont de bois, lancé de la jetée, vint s’accrocher à la proue. À l’exemple des autres passagers, j’abordai, puis m’engageai sur le quai rougi du soleil, au milieu d’une population nouvelle.

On débarquait. Les colis, pleins d’exotiques produits, les cages d’oiseaux d’Australie, les arbustes, heurtaient les caisses de produits des Iles ; une odeur de vanille, d’ananas et de coco, flottait dans l’air. D’énormes fardeaux, étiquetés de marques coloniales, étaient soulevés, chargés, s’entrecroisaient et disparaissaient, en hâte, vers la ville. Quant à moi, le roulis m’ayant un peu fatigué, j’avais laissé ma valise à bord et j’allais me mettre en quête d’une hôtellerie provisoire où passer une première nuit, lorsque, parmi les officiers de marine qui se promenaient sur la jetée en fumant et en prenant l’air de mer, je crus apercevoir le visage d’un ami d’autrefois, d’un camarade d’enfance, en Bretagne. L’ayant bien regardé, oui, je le reconnus. Il portait l’uniforme de lieutenant de vaisseau ; je vins à lui.

— N’est-ce pas à M. Gérard de Villebreuse que j’ai l’honneur de parler ? lui demandai-je.

J’eus à peine le temps d’achever. Avec cette effusion cordiale qui s’échange d’ordinaire entre compatriotes se rencontrant sur un sol étranger, il m’avait pris les deux mains :

— Toi ? s’écria-t-il ; comment, toi, ici, en Espagne ?