Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/337

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ayant prié de lui lire quelque fantaisie, je m’assis, auprès d’un candélabre, devant le guéridon sur lequel il s’accoudait. Entouré d’une vingtaine d’intimes de la cour et des amis du voyage, je donnai lecture, d’environ dix pages, d’une bouffonnerie énorme et sombre, couleur du siècle : Tribulat Bonhomet.

Il est des soirs où l’on est bien disposé, pour la gaîté. Un bon hasard m’avait fait tomber, sans doute, sur l’un d’eux. J’obtins donc un succès de fou rire très extraordinaire.

Cette hilarité presque convulsive s’empara des plus graves personnages de l’auditoire, jusqu’à leur faire oublier l’étiquette. J’en atteste les invités, le Grand-duc avait, littéralement, les larmes aux yeux. Un sévère officier de la maison du tzar, secoué par un étouffement, fut obligé de se retirer — et nous entendîmes dans l’antichambre les monstrueux éclats de rire solitaire auxquels il se livrait, enfin, en liberté. — Ce fut fantastique. Et je suis sûr que demain, en lisant ces lignes, S. À. R. le prince de Saxe-Weimar ne pourra se défendre d’un sourire au souvenir de cette soirée.


Le lendemain, par un beau soleil, dans la délicieuse vallée d’Eisenach, entourée de collines boisées que domine le féodal donjon de la Wartburg, les quinze ou vingt mille sujets de notre auguste châtelain s’ébattaient dans l’allégresse. — Des brasseries champêtres, des tréteaux pavoisés, des musiques, une fête en pleine nature ! Ce peuple aimait