Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/354

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« Ah ! si tu étais un prince profond !… Supposons que, tout à l’heure, au contraire, tu rentres, le front comme aggravé de la mystérieuse voyance prédite, entouré de tes gardes, la main sur mon épaule, dans la salle de ton trône — et que là, m’ayant toi-même revêtu de la robe des princes, tu mandes la douce Li-tien-Së — ta fille, et mon âme ! — qu’après nous avoir fiancés, tu ordonnes à tes trésoriers de me compter, officiellement, les cinquante mille liangs d’or, je jure qu’à cette vue tous ceux de tes courtisans dont les poignards sont à demi tirés dans l’ombre, contre toi, tomberont défaillants, prosternés et hagards, — et qu’à l’avenir nul n’oserait admettre, en son esprit, une pensée qui te serait ennemie. — Songe donc ! L’on te sait raisonnable et froid, clairvoyant dans les conseils de l’État ; donc il ne saurait être possible qu’une chimère vaine eût suffi pour transfigurer, en quelques instants, la soucieuse expression de ton visage en celle d’une stupeur sacrée, victorieuse, tranquille !… Quoi ! l’on te sait cruel, et tu me laisses vivre ? L’on te sait fourbe, et tu me laisses vivre ? L’on te sait cupide, et tu me prodigues tant d’or ? L’on te sait altier dans ton amour paternel, et tu me donnes ta fille, pour une parole, à moi, passant inconnu ? Quel doute subsisterait devant ceci ?… En quoi voudrais-tu que consistât la valeur d’un secret, insufflé par les vieux génies de notre Ciel, sinon dans l’environnante conviction que tu le possèdes ?… C’est elle seule qu’il s’agissait de créer ! je l’ai fait. Le