Page:Villiers de L’Isle-Adam - Isis, 1862.djvu/199

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des formes se promènent dans le silence. Pareille au savant qui reconstruisait les fossiles de la nuit du monde avec un fragment de leurs défenses, l’âme recrée alors les temples, les manoirs et les palais avec les débris d’une colonne, et la méditation touchant le vaste songe de l’existence, la grande mélancolie du Devenir enveloppe invinciblement l’esprit.

Ici, dans ce salon, l’entourage des cariatides semblait en exclure la sauvage majesté. Il leur manquait l’immensité, le spectacle de l’espace embrasé par le simoun. Ils paraissaient n’être plus environnés de la solitude des siècles… mais ils portaient avec eux tout cela pour Fabriana. Son âme suppléait aux déserts pour ces ruines. À sa volonté, la chambre devenait profonde ; sous son regard, les murailles se reculaient et se faisaient lointaines. Ces colosses noirs, arrachés aux tombeaux des rois d’Abyssinie et d’Égypte, réveillaient en elle des faits anciens. On eût dit souvent que leurs yeux avaient l’air d’échanger avec ses yeux une pensée sans nom, sans limites, sans espérance, glacée comme eux, triste de leur tristesse. Long-