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Axël, froid, souriant et scandant nettement ses paroles

Vivre ? Non. — Notre existence est remplie, — et sa coupe déborde ! — Quel sablier comptera les heures de cette nuit ! L’avenir ?… Sara, crois en cette parole : nous venons de l’épuiser. Toutes les réalités, demain, que seraient-elles, en comparaison des mirages que nous venons de vivre ? À quoi bon monnayer, à l’exemple des lâches humains, nos anciens frères, cette drachme d’or à l’effigie du rêve, — obole du Styx — qui scintille entre nos mains triomphales !

La qualité de notre espoir ne nous permet plus la terre. Que demander, sinon de pâles reflets de tels instants, à cette misérable étoile, où s’attarde notre mélancolie ? La Terre, dis-tu ? Qu’a-t-elle donc jamais réalisé, cette goutte de fange glacée, dont l’Heure ne sait que mentir au milieu du ciel ? C’est elle, ne le vois-tu pas, qui est devenue l’Illusion ! Reconnais-le, Sara : nous avons détruit, dans nos étranges cœurs, l’amour de la vie — et c’est bien en réalité que nous sommes devenus nos âmes ! Accepter, désormais, de vivre ne serait plus qu’un sacrilège envers nous-mêmes. Vivre ? les serviteurs feront cela pour nous.

Rassasiés pour une éternité, levons-nous de table et, en toute justice, laissons aux malheu-