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pontifes, qui avaient vu l’Église préservée des attaques des arabes, des Grecs et des Lombards, par l’empereur, avaient pu reconnaître cette unité des pouvoirs. Mais l’empereur mort, ces nationalités d’origines différentes réunies par la puissance du génie d’un seul homme devaient se diviser de nouveau ; le clergé devait reconquérir pied à pied le pouvoir spirituel, que s’arrogeaient alors les successeurs de Charlemagne, non plus pour le sauvegarder, mais pour détruire toute liberté dans l’Église, et trafiquer des biens et dignités ecclésiastiques. Les germes de la féodalité, qui existaient dans l’esprit des Francs, vinrent encore contribuer à désunir le faisceau si laborieusement lié par ce grand prince. Cinquante ans après sa mort chaque peuple reprend son allure naturelle ; l’art de l’architecture se fractionne, le génie particulier à chaque contrée se peint dans les monuments des IXe et Xe siècles. Pendant les XIe et XIIe siècles, la diversité est encore plus marquée. Chaque province forme une école. Le système féodal réagit sur l’architecture ; de même que chaque seigneur s’enferme dans son domaine, que chaque diocèse s’isole du diocèse voisin, l’art de bâtir suit pas à pas cette nouvelle organisation politique. Les constructeurs ne vont plus chercher des matériaux précieux au loin, n’usent plus des mêmes recettes, ils travaillent sur leur sol, emploient les matériaux à leur portée, modifient leurs procédés en raison du climat sous lequel ils vivent, ou les soumettent à des influences toutes locales. Un seul lien unit encore tous ces travaux qui s’exécutent isolément, la papauté. L’épiscopat qui, pour reconquérir le pouvoir spirituel, n’avait pas peu contribué au morcellement du pouvoir temporel, soumis lui-même à la cour de Rome, fait converger toutes ces voies différentes vers un même but où elles devaient se rencontrer un jour. On comprendra combien ces labeurs isolés devaient fertiliser le sol des arts, et quel immense développement l’architecture allait prendre, après tant d’efforts partiels, lorsque l’unité gouvernementale, renaissante au XIIIe siècle, réunirait sous sa main tous ces esprits assouplis par une longue pratique et par la difficulté vaincue.

Parmi les arts, l’art de l’architecture est certainement celui qui a le plus d’affinité avec les instincts, les idées, les mœurs, les progrès, les besoins des peuples ; il est donc difficile de se rendre compte de la direction qu’il prend, des résultats auxquels il est amené, si l’on ne connaît les tendances et le génie des populations au milieu desquelles il s’est développé. Depuis le XVIIe siècle la personnalité du peuple en France a toujours été absorbée par le gouvernement, les arts sont devenus officiels, quitte à réagir violemment dans leur domaine, comme la politique dans le sien à certaines époques. Mais au XIIe siècle, au milieu de cette société morcelée, où le despotisme des grands, faute d’unité, équivalait, moralement parlant, à une liberté voisine de la licence, il n’en était pas ainsi. Le cadre étroit dans lequel nous sommes obligé de nous renfermer, ne nous permet pas de faire marcher de front l’histoire politique et l’histoire de l’architecture du VIIIe au XIIe siècle en France ; c’est cependant ce qu’il faudrait tenter si l’on voulait expliquer les progrès de cet art au milieu des siècles encore bar-