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province, l’Aquitaine, Limoges en est le point central ; elle est bordée au nord par le domaine royal et l’Anjou, qui suivent à peu près le cours de la Loire ; à l’ouest et au sud-ouest, par l’Océan et le cours de la Garonne ; au sud, par le comté de Toulouse ; à l’est, par le Lyonnais et la Bourgogne. Or, c’est dans cette vaste province, et seulement dans cette province, que pendant le cours des XIe et XIIe siècles l’architecture française adopte la coupole à pendentifs, portée sur des arcs-doubleaux. Le recueil manuscrit des antiquités de Limoges, cité par M. de Verneilh[1], place l’arrivée des Vénitiens dans cette ville entre les années 988 et 989 ; en parlant de leur commerce, il contient ce passage : « Les vieux registes du pays nous rapportent que, antiennement, les Vénitiens traffiquans des marchandises d’Orient, ne pouvant passer leurs navires et gallères, descendans de l’Orient par la mer Méditerrannée dans l’Océan par le destroit de Gibraltar à cause de quelques rochers fesant empeschement audit destroit, pourquoy vindrent demeurer à Lymoges, auquel lieu establirent la Bourse de Venise, faisant apporter les espiceries et autres marchandises du Levant, descendre à aigues-Mortes, puis de là les faisoient conduire à Lymoges par mulets et voitures, p. de là, à la Rochelle, Bretagne, Angleterre, Escosse et Irlande ; lesquels Vénitiens demeurèrent à Lymoges longuement et se tenoient près l’abbaye de Sainct-Martin, qu’ils réédiffièrent sur les vieilles ruynes faittes par les Danois (Normands)… » Si les Vénitiens n’eussent été s’installer en Aquitaine que pour établir un entrepôt destiné à alimenter le commerce de la « Bretagne, de l’Écosse et de l’Irlande, » ils n’auraient pas pris Limoges comme lieu d’approvisionnement, mais quelque ville du littoral ; ce comptoir établi à Limoges, au centre de l’Aquitaine, indique, il nous semble, le besoin manifeste de fournir d’épiceries, de riches étoffes, de denrées levantines, toutes les provinces de France aussi bien que les contrées d’outre-mer. À une époque où l’art de l’architecture était encore à chercher la route qu’il allait suivre, où l’on essayait de remplacer, dans les édifices religieux, les charpentes destructibles par des voûtes en pierre (voy. Construction), où les constructeurs ne connaissaient que la voûte en berceau, applicable seulement à de petits monuments, il n’est pas surprenant que de riches commerçants étrangers aient vanté les édifices de leur pays natal, qu’ils aient offert d’en faire venir des dessins, ou d’envoyer des moines architectes d’Aquitaine visiter et étudier les églises de Venise et des bords de l’Adriatique. La coupole pouvait ainsi s’introduire dans le centre de la France par cent voies différentes ; chaque architecte qui recevait un dessin étranger, ou qui allait visiter les églises de l’Adriatique, interprétait à sa guise, et avec plus ou moins d’intelligence, les renseignements qu’on lui envoyait, ou ceux qu’il avait pu prendre sur place. Il y aurait donc exagération, nous le pensons, à considérer Saint-Front de Périgueux comme le type, l’église mère de tous les monuments à coupole de France. Si Saint-Front est une copie du

  1. L’architecture byzantine en France, par M. Félix de Verneilh.