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plan et de la disposition générale de Saint-Marc de Venise, ce n’est pas à dire que cette église abbatiale soit la source unique à laquelle on ait puisé pour faire des églises à coupoles dans toute l’Aquitaine pendant le cours des XIe et XIIe siècles ; Saint-Front a pu être l’origine des églises à coupoles du Périgord et de l’Angoumois, mais nous croyons que les coupoles des églises d’Auvergne, celles de la cathédrale du Puy, par exemple, ont reçu leur influence directe de l’Orient, ou plutôt de l’Adriatique, par l’intermédiaire du commerce vénitien[1].

Quoi qu’il en soit, et prenant le fait tel qu’il se produit dans les monuments de l’Aquitaine pendant les XIe et XIIe siècles, il a une importance considérable dans l’histoire de l’architecture française ; ses conséquences se font sentir jusque pendant le XIIIe siècle dans cette province et au-delà (voy. Architecture Religieuse, Construction). Les cathédrales de Poitiers, d’Angers, et du Mans même, conservent dans la manière de construire les voûtes des grandes nefs, une dernière trace de la coupole.

Au nord-ouest de la France, les monuments qui existaient avant l’invasion des Normands ne nous sont pas connus, les incursions des Danois ne laissaient rien debout derrière elles ; mais bientôt établis sur le sol, ces barbares deviennent de hardis et actifs constructeurs. Dans l’espace d’un siècle et demi, ils couvrent le pays sur lequel ils ont définitivement pris terre, d’édifices religieux, monastiques ou civils, d’une étendue et d’une richesse peu communes alors. Il est difficile de supposer que les Normands aient apporté de Norvège des éléments d’art ; mais ils étaient possédés d’un esprit persistant, pénétrant ; leur force brutale ne manquait pas de grandeur. Conquérants, ils élèvent des châteaux pour assurer leur domination, ils reconnaissent bientôt la force morale du clergé, et ils le dotent richement. Pressés d’ailleurs d’atteindre le but, lorsqu’ils l’ont entrevu, ils ne laissent aucune de leurs entreprises inachevées, et en cela ils différaient complètement des peuples méridionaux de la Gaule ; tenaces, ils étaient les seuls peut-être parmi les barbares établis en France, qui eussent des idées d’ordre, les seuls qui sussent conserver leurs conquêtes, et composer un État. Ils durent trouver les restes des arts carlovingiens sur le territoire où ils s’implantèrent, ils y mêlèrent leur génie national, positif, grand, quelque peu sauvage, et délié cependant.

Ces peuples ayant de fréquents rapports avec le Maine, l’Anjou, le Poitou et toute la côte occidentale de la France, le goût byzantin agit aussi sur l’architecture normande. Mais au lieu de s’attaquer à la construction, comme dans le Périgord ou l’Angoumois, il influe sur la décoration. Ne perdons point de vue ces entrepôts d’objets ou de denrées du Levant placés au centre de la France. Les Vénitiens n’apportaient pas seulement en France du poivre et de la cannelle, mais aussi des étoffes de soie et d’or chargées de riches ornements, de rinceaux, d’animaux bizarres, étoffes qui se fabriquaient alors

  1. Voir l’article de M. Vitet, inséré dans le Journal des Savants, cahier de janvier, février et mai 1853, sur l’architecture byzantine en France, par M. de Verneilh.