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tout, en abandonnant l’arc plein cintre, même dans l’architecture civile.

Dès le commencement du XIIIe siècle, l’architecture se développe d’après une méthode complétement nouvelle, dont toutes les parties se déduisent les unes des autres avec une rigueur impérieuse. Or c’est par le changement de méthode que commencent les révolutions dans les sciences et les arts. La construction commande la forme ; les piles destinées à porter plusieurs arcs se divisent en autant de colonnes qu’il y a d’arcs, ces colonnes sont d’un diamètre plus ou moins fort, suivant la charge qui doit peser sur elles, s’élevant chacune de leur côté jusqu’aux voûtes qu’elles doivent soutenir, leurs chapiteaux prennent une importance proportionnée à cette charge. Les arcs sont minces ou larges, composés d’un ou de plusieurs rangs de claveaux, en raison de leur fonction (voy. Arc, Construction). Les murs devenus inutiles disparaissent complétement dans les grands édifices et sont remplacés par des claires-voies, décorées de vitraux colorés. Toute nécessité est un motif de décoration : les combles, l’écoulement des eaux, l’introduction de la lumière du jour, les moyens d’accès et de circulation aux différents étages des bâtiments, jusqu’aux menus objets tels que les ferrures, la plomberie, les scellements, les supports, les moyens de chauffage, d’aération, non-seulement ne sont point dissimulés, comme on le fait si souvent depuis le XVIe siècle dans nos édifices, mais sont au contraire franchement accusés, et contribuent par leur ingénieuse combinaison et le goût qui préside toujours à leur exécution, à la richesse de l’architecture. Dans un bel édifice du commencement du XIIIe siècle si splendide qu’on le suppose, il n’y a pas un ornement à enlever, car chaque ornement n’est que la conséquence d’un besoin rempli. Si l’on va chercher les imitations de ces édifices faites hors de France, on n’y trouve qu’étrangeté ; ces imitations ne s’attachant qu’aux formes sans deviner leur raison d’être. Ceci explique comme quoi, par suite de l’habitude que nous avons chez nous de vouloir aller chercher notre bien au loin, (comme si la distance lui donnait plus de prix), les critiques qui se sont le plus élevés contre l’architecture dite gothique avaient presque toujours en vue des édifices tels que les cathédrales de Milan, de Sienne, de Florence, certaines églises de l’Allemagne, mais n’avaient jamais songé à faire vingt lieues pour aller sérieusement examiner la structure des cathédrales d’Amiens, de Chartres ou de Reims. Il ne faut pas aller étudier ou juger l’architecture française de cette époque là où elle a été importée, il faut la voir et la juger sur le sol qui l’a vue naître, au milieu des divers éléments matériels ou moraux dont elle s’est nourrie ; elle est d’ailleurs si intimement liée à notre histoire, aux conquêtes intellectuelles de notre pays, à notre caractère national dont elle reproduit les traits principaux, les tendances et la direction, qu’on a peine à comprendre comment il se fait qu’elle ne soit pas mieux connue et mieux appréciée, qu’on ne peut concevoir comment l’étude n’en est pas prescrite dans nos écoles comme l’enseignement de notre histoire.

C’est précisément au moment où les recherches sur les lettres, les sciences, la philosophie et la législation antiques sont poursuivies avec