Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, tome 1.djvu/168

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l’architecture ogivale prend sa place et conserve sa qualité, chaque homme et chaque objet comptent pour ce qu’ils sont, comme dans la création chaque chose a son rôle tracé par la main divine. Et comme s’il semblait que cet art ne dût pas cesser d’être méthodique jusque dans sa parure, nous le voyons, dès son origine, abandonner tous les ornements laissés par les traditions romano-byzantines pour revêtir ses frises, ses corniches, ses gorges, ses chapiteaux, ses voussures des fleurs et feuilles empruntées aux forêts et aux champs du nord de la France. Chose merveilleuse ! l’imitation des végétaux semble elle-même suivre un ordre conforme à celui de la nature, les exemples sont là qui parlent d’eux-mêmes. Les bourgeons sont les premiers phénomènes sensibles de la végétation, les bourgeons donnent naissance à des scions ou jeunes branches chargées de feuilles ou de fleurs. Eh bien, lorsque l’architecture française à la fin du XIIe siècle s’empare de la flore comme moyen de décoration, elle commence par l’imitation des cotylédons, des bourgeons, des scions, pour arriver bientôt à la reproduction des tiges et des feuilles développées (voir les preuves dans le mot Flore). Il va sans dire que cette méthode synthétique est, à plus forte raison, suivie dans la statique, dans tous les moyens employés par l’architecture pour résister aux agents destructeurs. Ainsi la forme pyramidale est adoptée comme la plus stable, les plans horizontaux sont exclus comme arrêtant les eaux pluviales, et sont remplacés, sans exception, par des plans fortement inclinés. À côté de ces données générales d’ensemble, si nous examinons les détails, nous restons frappés de l’organisation intérieure de ces édifices. De même que le corps humain porte sur le sol et se meut au moyen de deux points d’appui simples, grêles, occupant le moins d’espace possible, se complique et se développe à mesure qu’il doit contenir un grand nombre d’organes importants, de même l’édifice gothique pose ses points d’appui d’après les données les plus simples, sorte de quillage dont la stabilité n’est maintenue que par la combinaison et les développements des parties supérieures. L’édifice gothique ne reste debout qu’à la condition d’être complet ; on ne peut retrancher un de ses organes sous peine de le voir périr, car il n’acquiert de stabilité que par les lois de l’équilibre. C’est là du reste un des reproches qu’on adresse le plus volontiers à cette architecture, non sans quelque apparence de raison. Mais ne pourrait-on alors reprocher aussi à l’homme la perfection de son organisation et le regarder comme une créature inférieure aux reptiles par exemple, parce qu’il est plus sensible que ceux-ci aux agents extérieurs, et plus fragile ?… Dans l’architecture gothique, la matière est soumise à l’idée, elle n’est qu’une des conséquences de l’esprit moderne, qui dérive lui-même du christianisme.

Toutefois le principe qui dirigeait cette architecture, par cela même qu’il était basé sur le raisonnement humain, ne pouvait s’arrêter à une forme ; du moment que l’architecture s’était identifiée aux idées d’une époque et d’une population, elle ne pouvait manquer de se modifier en même temps que ces idées. Pendant le règne de Philippe Auguste on s’aperçoit que