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dans les peintures et les vitraux, que ces populations allaient imprimer leurs désirs, leurs espérances ; c’était là que sans contrainte elles pouvaient protester silencieusement contre l’abus de la force. À partir du xiie siècle cette protestation ne cesse de se produire dans toutes les œuvres d’art qui décorent nos édifices du moyen âge ; elle commence gravement, elle s’appuie sur les textes sacrés, elle devient satirique à la fin du xiiie siècle, et finit au xve par la caricature. Quelle que soit sa forme, elle est toujours franche, libre, crue même parfois. Avec quelle complaisance les artistes de ces époques s’étendent dans leurs œuvres sur le triomphe des faibles, sur la chute des puissants ! Quel est l’artiste du temps de Louis XIV qui eût osé placer un roi dans l’enfer à côté d’un avare, d’un homicide ; quel est le peintre ou le sculpteur du xiiie siècle qui ait placé un roi dans les nuées entouré d’une auréole, glorifié comme Dieu, tenant la foudre, et ayant à ses pieds les puissants du siècle ? Est-il possible d’admettre, quand on étudie nos grandes cathédrales, nos châteaux et nos habitations du moyen âge qu’une autre volonté que celle de l’artiste ait influé sur la forme de leur architecture, sur le système adopté dans leur décoration ou leur construction ? L’unité qui règne dans ces conceptions, la parfaite concordance des détails avec l’ensemble, l’harmonie de toutes les parties ne démontrent-elles pas qu’une seule volonté a présidé à l’érection de ces œuvres d’art ? Cette volonté peut-elle être autre que celle de l’artiste ? Et ne voyons-nous pas, à propos des discussions qui eurent lieu sous Louis XIV, lorsqu’il fut question d’achever le Louvre, le roi, le surintendant des bâtiments, Colbert, et toute la cour donner son avis, s’occuper des ordres, des corniches, et de tout ce qui touche à l’art, et finir par confier l’œuvre à un homme qui n’était pas architecte, et ne sut que faire un dispendieux placage, dont le moindre défaut est de ne se rattacher en aucune façon au monument et de rendre inutile le quart de sa superficie ? On jauge une civilisation par ses arts, car les arts sont l’énergique expression des idées d’une époque, et il n’y a pas