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des couvents était un appât pour la cupidité de tous ces princes séculiers qui pouvaient alors mettre la main sur les biens des abbayes, enlever les châsses d’or et d’argent, et les vases sacrés. La sécularisation des couvents eut lieu, car Luther, qui épuisait tout le vocabulaire des injures contre la papauté, les évêques et les moines, ménageait avec le plus grand soin ces princes qui d’un mot eussent pu étouffer sa parole. Le peuple, ainsi qu’il arrive lorsque l’équilibre politique est rompu, ne tarda pas à se mêler de la partie. Il n’y avait pas trois années que Luther avait commencé la guerre contre le pouvoir de la cour de Rome, que déjà autour de lui ses propres disciples le débordent et divisent la réforme en sectes innombrables ; on voit naître les Buceriens, les Carlstadiens, les Zwingliens ; les Anabaptistes, les Œcolampadiens, les Mélanchthoniens, les Illyriens ; on voit un Munzer, curé d’Alstaedt, anabaptiste, soulever les paysans de la Souabe et de la Thuringe, périr avec eux à Franckenhausen, sous les coups de cette noblesse qui protégeait la réforme, et ne trouver chez Luther, en fait de sentiment de pitié (lui qui était la cause première de ces désastres), que ces paroles cruelles : « À l’âne du chardon, un bât et le fouet ; c’est le sage qui l’a dit ; aux paysans de la paille d’avoine. Ne veulent-ils pas céder, le bâton et le mousquet ; c’est de droit. Prions pour qu’ils obéissent, sinon point de pitié ; si on ne fait siffler l’arquebuse, ils seront cent fois plus méchants[1]. »

Luther voulait que l’on conservât les images ; un de ses disciples, Carlstadt, brise presque sous ses yeux les statues et les vitraux de l’église de Tous-les-Saints de Vittemberg. L’Allemagne se couvre de ruines, le marteau de ces nouveaux iconoclastes va frapper les figures des saints jusque dans les maisons, jusque dans les oratoires privés ; les riches manuscrits couverts de peinture sont brûlés.

Voilà comment débute le XVIe siècle en Allemagne ; par le fait le peuple n’était qu’un instrument, et la noblesse séculière profitait seule de la réforme par la sécularisation, ou plutôt la destruction des établissements religieux. « Trésors d’églises et de couvents, disait Mélancthon, disciple fidèle de Luther, les électeurs gardent tout et ne veulent même rien donner pour l’entretien des écoles ! »

Cependant la France, sous le règne de François Ier, commençait à ressentir le contre-coup de cette révolution qui s’opérait en Allemagne, et à laquelle Charles-Quint, préoccupé de plus vastes projets, n’opposait qu’une résistance indécise. Peut-être même en affaiblissant le pouvoir du Saint-Siège la réforme servait-elle une partie de ces projets, et pensait-il pouvoir la diriger dans le sens de sa politique, et l’arrêter à son temps. Luther ne pouvait cependant exercer en France la même influence qu’en Allemagne ; sa parole brutale, grossière, ses prédications semées d’injures ramassées dans les tavernes, n’eussent pas agi sur l’esprit des classes éclairées de

  1. Lettre de Luther à Rubel. (Histoire de la Vie, des Ouvr. et des Doctr. de Luther, par M. Audin. Paris.)