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notre pays ; ses doctrines toutefois, condamnées par la Sorbonne, avaient rallié quelques adeptes ; on a toujours aimé la nouveauté chez nous ; et déjà lorsque parut Calvin, les diatribes de Luther contre le pape et les princes de l’Église avaient séduit des docteurs, des nobles lettrés, des écoliers en théologie, des artistes jaloux de la protection donnée aux Italiens et qui croyaient avoir tout à gagner en secouant le joug de Rome. La mode était à la réforme ; il ne nous appartient pas de nous étonner de ces entraînements des peuples, nous qui avons vu s’accomplir une révolution en un jour aux cris de la réforme. Calvin était né en 1509 à Noyon. Luther, le moine saxon, avait la parole insolente, le visage empourpré, le geste et la voix terribles ; Calvin, la démarche austère, la face cadavéreuse, l’apparence maladive ; il ménagera la forme dans ses discours comme dans ses écrits ; nature opiniâtre, prudente, il ne tombera pas chaque jour dans les plus étranges contradictions comme son prédécesseur de Wittemberg ; mais marchant pas à pas, théologien diplomate, il ne reculera jamais. Luther, ne sachant comment maîtriser la tempête qu’il avait déchaînée contre la société, poussait la noblesse allemande au massacre de milliers de paysans fanatisés par un fou ; Calvin poursuivra, dénoncera Servet, et le fera brûler vif parce qu’il se sera attaqué à sa vanité de réformateur. Voilà les deux hommes qui allaient modifier profondément une grande partie de l’Europe catholique, et qui, sous le prétexte d’affranchir les âmes de la domination du saint-siège, commençaient par s’appuyer sur le despotisme le plus intolérant, le plus fatal au développement de la liberté de conscience, le plus fatal aux arts qui ont besoin, pour conserver leur originalité, du libre arbitre ; et qui demeurent inféconds là où s’élève un pouvoir qui réunit sous sa main le temporel et le spirituel. Le catholicisme ne pouvait soutenir cette guerre soulevée contre le dogme de l’Église qu’en opposant à l’esprit d’anarchie et d’intolérance une armée réunie sous une discipline sévère. Comme contre-poids au principe de la réforme, saint Ignace de Loyola s’élève, organise sa milice dont la force immense s’appuie sur le principe de l’obéissance absolue à l’esprit et à la lettre. Ainsi s’éteint au sein même du catholicisme ce germe vivifiant de discussion, de controverse, d’innovation hardies, qui avait fait naître nos grands artistes des XIIe et XIIIe siècles.

L’imprimerie donne tout à coup une extension immense à des luttes qui, sans elle, n’eussent peut-être pas dépassé les murs de Wittemberg. Grâce à ce moyen de répandre les idées nouvelles d’un bout de l’Europe à l’autre parmi toutes les classes de la société, chacun devient docteur, discute les Écritures, interprète à sa guise les mystères de la religion, chacun veut former une Église, et tout ce grand mouvement aboutit à la perte de la liberté de conscience, à la confusion du spirituel et du temporel sous un même despotisme. Henry VIII, roi théologien, comprend le premier l’importance politique de la réforme, et après avoir réfuté les doctrines de Luther, ne pouvant obtenir du pape la rupture de son mariage avec Catherine d’Aragon, il adopte tout à coup les principes du réforma-