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église mère commencée par Hugues. Guillaume le Conquérant sollicite l’abbé de Cluny de venir gouverner les affaires religieuses de l’Angleterre. D’antiques abbayes deviennent, pendant le gouvernement de saint Hugues, des dépendances de Cluny ; ce sont celles de Vézelay, de Saint-Gilles, Saint-Jean d’Angély, Saint-Pierre de Moissac, Maillezais, Saint-Martial de Limoges, Saint-Cyprien de Poitiers, Figeac, Saint-Germain d’Auxerre, Saint-Austre-moine de Mauzac, et Saint-Bertin de Lille ; tout en conservant leur titre d’abbé, les supérieurs de ces établissements religieux sont nommés par l’abbé général. « Déjà, cinq ans auparavant, saint Hugues ne consentait à se charger du monastère de Lézat qu’à la condition que l’élection de l’abbé lui serait abandonnée et à ses successeurs après lui. En pareille circonstance, dit Mabillon, il mettait toujours cette condition, afin, comme l’exprime la charte, de ne point travailler en vain, et dans la crainte que le monastère réformé ne vînt bientôt à retomber dans un état pire que le premier[1]. » Saint Hugues fonde le monastère de la Charité-sur-Loire ; de son temps Cluny était un véritable royaume, « sa domination s’étendait sur trois cent quatorze monastères et églises, l’abbé général était un prince temporel qui, pour le spirituel, ne dépendait que du saint-siège. Il battait monnaie sur le territoire même de Cluny, aussi bien que le roi de France dans sa royale cité de Paris[2]… »

Pour gouverner des établissements répartis sur tout le territoire occidental de l’Europe, des assemblées de chapitres généraux sont instituées ; à des époques rapprochées et périodiques, on verra de tous les points de l’Italie, de l’Allemagne, de la France, de l’Aquitaine, de l’Espagne, du Portugal, de l’Angleterre, de la Hongrie, de la Pologne, accourir à la voix de l’abbé les supérieurs et délégués des monastères. « Saint Benoît voulait que, dans les affaires importantes, l’abbé consultât toute la communauté. Cette sage précaution, cette espèce de liberté religieuse sera transportée en grand dans l’immense congrégation de Cluny. Au chapitre général, on discutera des intérêts et des besoins spirituel du cloître, comme les conciles font les intérêts et les besoins de l’Église. On rendra compte de l’état de chaque communauté ; toutes seront groupées par provinces monastiques, et le chapitre général, avant de se séparer, nommera deux visiteurs pour chacune de ces provinces. Leur devoir sera d’y aller assurer l’exécution des mesures décrétées dans le chapitre général, de voir de près l’état des choses, d’entendre et d’accueillir au besoin les plaintes des faibles, et d’y régler toutes choses pour le bien de la paix[3]. »

Ainsi, politiquement, Cluny donnait l’exemple de l’organisation centrale

  1. Cluny au XIe siècle, par l’abbé Cucherat. (Voy. Mabillon, Ann. Ben., t. V, p. 70. «…Ne in vacuum laborare videretur, et ne semel recuperatus locus iterum in pejora laberetur. »)
  2. Hist. de Saint-Étienne Harding, p. 264. — Voy. Essai sur l’hist. monét. de l’abb. de Cluny, 1842, p. 8 (tiré à 25 exempl.), par M. Anatole Barthélemy.
  3. Cluny au XIe siècle, par l’abbé Cucherat, p. 23.