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n’avaient pas besoin d’être refendus à la scie pour faire des entraits, des arbalétriers, des poinçons ; on se contentait de les équarrir avec soin ; n’étant pas refendus, et le cœur n’étant pas ainsi mis à découvert, ils étaient moins sujets à se gercer, à se tourmenter, et conservaient leur force naturelle. Ces bois (ce qu’il est facile de reconnaître au nombre des couches concentriques) ne sont pas vieux ; ils comptent habituellement soixante, quatre-vingts ou cent années au plus pour les pièces d’un fort équarrissage. Les chevrons portant ferme sont eux-mêmes des bois de brin non refendus, et ces chevrons, qui ne comptent guère que soixante années, atteignent cependant parfois douze et quinze mètres de longueur sur un équarrissage de 0,20 × 0,20. Évidemment nos forêts ne produisent plus de ces bois.

Les charpentiers du moyen âge semblent avoir craint d’employer, même dans les plus grandes charpentes, des bois d’un fort équarrissage, et très-vieux par conséquent ; s’ils avaient besoin d’une grosse pièce, telle qu’un poinçon de flèche par exemple, ils réunissaient quatre brins ; c’était encore un moyen d’éviter les torsions si fréquentes dans les pièces uniques. Avait-on une grande charpente à exécuter, on allait à la forêt choisir les bois ; on les écorçait avant de les abattre ; on les emmagasinait plusieurs années à l’avance, à l’air libre, mais abrités et tout équarris. L’abattage se faisait en hiver, et pendant la durée d’une certaine lune[1]. Vraie ou fausse, cette croyance démontre l’importance que l’on attachait à ces opérations préliminaires. Les bois bien secs, après un très-long séjour à l’air, ou une immersion destinée à dissoudre et enlever la sève, étaient mis sur chantier. À la pose, on redoublait de soins ; le bois coupé debout et posé contre la maçonnerie aspire l’humidité de la pierre ; pour éviter la pourriture qui résulte bientôt de cette aspiration, on clouait quelquefois aux extrémités des pièces touchant à la maçonnerie, soit une lame de plomb, soit une petite planchette coupée de fil ; d’ailleurs on prenait les plus grands soins pour tenir les sablières isolées de la pierre, pour laisser circuler l’air autour du pied des arbalétriers ou des chevrons. On évitait autant que possible les assemblages, tant pour ne pas affaiblir les bois que pour éloigner les chances de pourriture. Il arrivait souvent que les bois de charpente recevaient une couche de peinture qui semble n’être qu’une dissolution d’ocre dans de l’eau salée ou alunée ; et, en effet, une lessive de sel marin ou d’alun empêche les insectes de s’attacher à la surface du bois ; elle leur donne une belle teinte gris-jaune d’un aspect soyeux. On a supposé que le bois de châtaignier avait la propriété d’éloigner les araignées, et on a conclu de l’absence des araignées dans les anciens combles que ceux-ci étaient en bois de châtaignier ; mais les araignées ne se logent que là où elles peuvent vivre, et les bois bien purgés de sève,

  1. Cette croyance à l’influence de la lune sur les bois au moment de l’abattage s’est encore conservée dans quelques provinces du centre en France, à ce point que les bois abattus pendant la lune favorable se vendent plus cher que les autres.