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Sens, voyant l’hiver (1778-1779) approcher, et ne voulant pas laisser la grande voûte inachevée, donna la conduite du travail à un moine habile et industrieux qui lui servait de conducteur de travaux. Ce fut ainsi que put être terminée la voûte de la croisée et des deux transsepts orientaux.

Mais « le maître, s’apercevant qu’il ne recevait aucun soulagement des médecins, abandonna l’œuvre, et, traversant la mer, retourna chez lui en France. Un autre lui succéda dans la direction des travaux William de nom, Anglais de nation, petit de corps, mais probe et habile dans toutes sortes d’arts. » Ce fut ce second maître, anglais de nation, qui termina le chœur, le chevet, la chapelle de la Trinité et la chapelle dite la couronne de Becket. Or cette extrémité orientale, dont nous donnons le plan au niveau de la galerie du rez-de-chaussée (31), quoique élevée par un architecte anglais, conserve encore tous les caractères de l’abside de la cathédrale de Sens, non-seulement dans son plan, mais dans sa construction, ses profils et sa sculpture d’ornement, avec plus de finesse et de légèreté ; ce qui s’explique par l’intervalle de quelques années qui sépare ces deux constructions. William l’Anglais n’a fait que suivre, nous le croyons, les projets de son malheureux prédécesseur, qui pourrait bien être le maître de l’œuvre de la cathédrale de Sens. Le chevet de la cathédrale de Canterbury nous donne le moyen de restituer le chevet de la cathédrale de Sens, ainsi que nous l’avons fait (fig. 30)[1].

Ce qui caractérise la cathédrale de Sens, c’est l’ampleur et la simplicité des dispositions générales. La nef est large, les points d’appui résistants, élevés seulement sous les retombées réunies des grandes voûtes ; le chœur est vaste et profond. L’architecte avait su allier la mâle grandeur des églises bourguignonnes du XIIe siècle aux nouvelles formes adoptées par l’Île-de-France. Mais il ne faut pas croire que ce monument nous soit conservé tel que l’avait laissé l’évêque Hugues de Toucy. Dévasté par un incendie vers le milieu du XIIIe siècle, les voûtes, les fenêtres hautes et les couronnements furent refaits, puis la chapelle absidale. Des colonnes furent ajoutées entre les colonnes accouplées du rond-point, afin de porter

  1. La seule partie contestable de cette restitution serait la chapelle circulaire dans l’axe, remplacée par une chapelle plus profonde élevée, après l’incendie, à la fin du XIIIe siècle. Mais il y a tant d’analogie entre le chevet de Canterbury et celui de Sens, que nous sommes fort disposés à croire que la couronne de Becket n’est qu’une imitation d’une chapelle semblable bâtie à Sens par le maître Guillaume, avant son départ pour l’Angleterre. N’oublions pas que c’est en 1168 que la cathédrale de Sens est terminée, et que c’est en 1175 que Guillaume commence les constructions du chœur de Canterbury. Nous renvoyons nos lecteurs, pour de plus amples renseignements sur ce sujet, à l’excellent ouvrage déjà cité du Profr Willis.