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autour des portes et qui tiennent à la nouvelle loi. Sur les façades des grandes cathédrales du titre de sainte Marie, mère de Dieu, au-dessus des portes, on voit une série de statues colossales de rois ancêtres de la Vierge[1]. Ils assistent à sa glorification. Une galerie supérieure reçoit la

  1. À Paris, à Reims, à Amiens, on a voulu voir, dans ces statues de rois, la série des rois de France ; et cette idée populaire date de fort loin, puisqu’elle est déjà exprimée au XIIIe siècle. L’une de ces statues, invariablement posée sur un lion, est alors prise pour Pépin. Dans les XXIII manières de vilains, manuscrit qui date de la fin du XIIIe siècle, on lit ce passage : « Li vilains Babuins est cil ki va devant Notre-Dame à Paris, et regarde les rois et dist : « Vés-la Pépin, vés-la Charlemainne. » « Et on li coupe sa borse par derière. » Nous ne voyons pas cependant que les évêques qui, à la fin du XIIe siècle fixèrent les règles générales de l’iconographie des cathédrales, aient voulu représenter les rois de France sur les portails des églises du titre de Sainte-Marie, mais bien plutôt les rois de Juda ; car rien ne rappelle l’histoire contemporaine dans ces grands monuments, ou, quand par hasard, elle s’y montre, ce n’est que d’une manière très-accessoire ; le manuscrit cité ici est une satyre et son auteur a bien pu d’ailleurs, en faisant ainsi parler le badaud parisien devant le portail de Notre-Dame de Paris, vouloir rappeler une erreur populaire. Il nous parait bien plus conforme à l’esprit de l’époque d’admettre que les statues des rois sont des rois de Juda, puisqu’ils complètent, par leur présence, les représentations des personnages qui participent à la venue du Christ. Le roi toujours posé sur un lion, et tenant une croix et une épée, ne peut être que David ; l’autre roi, tenant également une croix et un anneau, Salomon. D’ailleurs, avant le règne de Philippe-Auguste, et même jusqu’à celui de saint Louis, les évêques ne pouvaient avoir, de la puissance royale, les idées admises à la fin du XIIIe siècle. Il nous suffira, pour faire comprendre ce qu’était, au XIIe siècle, un roi de France aux yeux de l’évêque et du chapitre de Paris, de citer un fait rapporté par un écrivain contemporain, Étienne de Paris. « J’ai vu, dit-il, que le roi Louis (VII), qui voulait arriver un jour à Paris, étant surpris par la nuit, se retira dans un village des chanoines de la cathédrale appelé Creteil (Cristolium). Il y coucha ; et les habitants fournirent la dépense. Dès le grand matin, on le vint rapporter aux chanoines ; ils en furent fort affligés et se dirent l’un à l’autre : « C’en est fait de l’Église, les priviléges sont perdus : il faut ou que le roi rende la dépense, ou que l’office cesse dans notre église. » Le roi vint à la cathédrale dès le même jour, suivant la coutume où il étoit d’aller à la grande église, quelque temps qu’il fit. Trouvant la porte fermée, il en demanda la raison, disant que si quelqu’un avoit offensé cette église, il vouloit la dédommager. On lui répondit : « Vraiment, sire, c’est vous-même qui, contre les coutumes et libertés sacrées de cette sainte église, avez soupé hier à Creteil ; non à vos frais, mais à ceux des hommes de cette église : c’est pour cela que l’office est cessé ici, et que la porte est fermée, les chanoines étant résolus de plutôt souffrir toutes sortes de tourments que de laisser de leur temps enfreindre leurs libertés. » Ce roi très-chrétien fut frappé de ces paroles. « Ce qui est arrivé, dit-il, n’a point été fait de dessein prémédité. La nuit m’a retenu en ce lieu, et je n’ai pu arriver à Paris comme je me l’étois proposé. C’est sans force ni contrainte que les habitants de Creteil ont fait de la dépense pour moi ; je suis fâché maintenant d’avoir accepté leurs offres. Que l’évêque Thibaud vienne, avec le doyen Clément, que tous les chanoines approchent, et surtout le chanoine qui est prévôt de ce village : si je suis