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pays ; mais alors l’esprit féodal s’était modifié, ainsi que les mœurs de la noblesse, et ces résidences revêtent des formes différentes de celles que nous leur voyons choisir pendant le règne de Philippe-Auguste et au commencement de celui de saint Louis ; elles deviennent des palais fortifiés, tandis que, jusqu’au XIIIe siècle, les châteaux ne sont que des forteresses pourvues d’habitations. Ces caractères bien tranchés sont faciles à saisir ; ils ont une grande importance au point de vue architectonique, et le château de Coucy, tel qu’il devait exister avant les reconstructions de la fin du XIVe siècle, sert de transition entre les châteaux de la première et de la seconde catégorie ; ce n’est plus l’enceinte contenant des habitations disséminées, comme un village fortifié dominé par un fort principal, le donjon ; et ce ne devait pas être encore le palais, la réunion de bâtiments placés dans un ordre régulier soumettant la défense aux dispositions exigées par l’habitation, le véritable château construit d’après une donnée générale, une ordonnance qui rentre complètement dans le domaine de l’architecture.

Aujourd’hui, toutes les résidences seigneuriales sont tellement ruinées qu’on ne peut plus guère se faire une idée exacte des parties qui servaient à l’habitation ; les tours et les courtines, plus épaisses que le reste des constructions, ont pu résister à la destruction, et nous laissent juger des dispositions défensives permanentes, sans nous donner le détail des distributions intérieures, ainsi que des nombreuses défenses extérieures qui protégeaient le corps de la place. Il nous faut, pour nous rendre compte de ce que devait être un château pendant la première moitié du XIIIe siècle, avoir recours aux descriptions contenues dans les chroniques et les romans ; heureusement ces descriptions ne nous font pas défaut et elles sont souvent assez détaillées. L’une des plus anciennes, des plus complètes et des plus curieuses, est celle qui est contenue dans la première partie du Roman de la Rose, et qui, sous le nom du Château de la Jalousie, nous dépeint le Louvre de Philippe-Auguste. Personne n’ignore que la grosse tour ou donjon du Louvre avait été bâtie par ce prince pour renfermer son trésor et servir au besoin de prison d’État ; tous les fiefs de France relevaient de la tour du Louvre, dans laquelle les grands vassaux rendaient hommage et prêtaient serment de fidélité au roi. Les autres constructions de ce château avaient été également élevées par Philippe-Auguste. Mais laissons parler Guillaume de Lorris[1] :

« Dès or est drois que ge vous die
« La contenance Jalousie,
« Qui est en male souspeçon :
« Où païs ne remest maçon
« Ne pionnier qu’ele ne mant.
« Si fait faire au commancement
« Entor les Rosiers uns fossés

  1. Le Roman de la Rose, vers 3 813.