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[chateau]
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« Jalousie, que Diex confonde !
« A garnie la tor réonde (le donjon) :
« Et si sachiés qu’ele i a mis
« Des plus privés de ses amis,
« Tant qu’il i ot grant garnison[1]. »

C’est là un château royal ; la nécessité où se trouvait un seigneur de placer un poste, une petite garnison, dans chaque porte principalement, faisait qu’on ne multipliait pas les issues, d’autant plus que les attaques étaient toujours tentées sur ces points. Ce passage du Roman de la Rose nous fait connaître que, dans les châteaux considérables, la multiplicité des défenses exigeait des garnisons comparativement nombreuses. Or ces garnisons ruinaient les seigneurs ; s’ils les réduisaient, le système défensif adopté au commencement du XIIIe siècle, excellent lorsqu’il était convenablement muni d’hommes, était mauvais lorsque tous les points ne pouvaient pas être bien garnis et surveillés. Alors ces détours, ces solutions de communications devenaient au contraire favorables aux assiégeants. Nous verrons comme, au XIVe siècle, les châtelains ayant reconnu ces défauts cherchèrent à y remédier et à se bien défendre avec des garnisons que leur état de fortune ne leur permettait plus d’entretenir très-nombreuses.

Voici maintenant des descriptions de travaux exécutés dans des châteaux de seigneurs féodaux qui datent de la même époque (commencement du XIIIe siècle) :

« Vers son chastel point tant et broche[2]
« Qu’il en a véue la roche[3] ;
« Venuz est, si descent au pont[4].
« Les ovriers qui les euvres font
« Amoneste de tost ovrer[5]
« Et de lor porte delivrer,
« Et de reparer ses fossez,
« Car moult bien estoit apanssez (il se préoccupait fort)
« Se li Rois vient sur lui à ost (avec son armée),
« Qu’il n’a pas pooir qu’il l’en ost,
« Einçoiz en seroit moult penez.
« Moult s’esforce li forcenez
« De faire fossez et tranchiées,
« Tot entor lui à sis archiées,
« Fait un fossé d’eve parfont (rempli d’eau profonde)

  1. La garnison du donjon, composée des plus fidèles, et en grand nombre.
  2. Le Roman du Renart, vers 18 463 et suiv.
  3. Renart fuit et se réfugie dans son château qu’il fait réparer.
  4. Il était rare que l’on entrât à cheval dans le château même, les écuries étant généralement bâties dans la basse-cour comprise dans une première enceinte ; on laissait les montures devant le pont du château.
  5. Renart engage les ouvriers à terminer promptement leur travail.