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agricoles depuis longtemps lorsqu’ils s’établirent sur le sol des Gaules, conservaient encore, dans les siècles de la décadence, les mœurs de propriétaires fonciers ; leurs habitations des campagnes étaient établies au centre de riches vallées, le long des cours d’eau, et s’entouraient de tout ce qui est nécessaire à la vie des champs et à la grande culture. Possesseurs tranquilles de la plus grande partie du sol gaulois pendant trois siècles, n’ayant à lutter ni contre les populations soumises et devenues romaines, ni contre les invasions des barbares, ils n’avaient pas eu le soin de munir leurs villæ de défenses propres à résister à une attaque à main armée. Lorsque commencèrent les débordements de barbares venus de la Germanie, les derniers Possesseurs du sol gallo-romain abandonnèrent les villæ pour s’enfermer dans les villes fortifiées à la hâte ; le flot passé, ils réparaient leurs habitations rurales dévastées ; mais, soit mollesse, soit force d’habitude, ils ne songèrent que rarement à mettre leurs bâtiments d’exploitation agricole à l’abri d’un coup de main. Tout autre était l’esprit germain. « C’est l’honneur des tribus, dit César[1], de n’être environnées que de vastes déserts, d’avoir des frontières dévastées. Les Germains regardent comme une marque éclatante de valeur, de chasser au loin leurs voisins, de ne permettre à personne de s’établir près d’eux. Ils y trouvent, d’ailleurs, un moyen de se garantir contre les invasions subites… » « Les Germains, dit Tacite[2], n’habitent point dans des villes ; ils ne peuvent même souffrir que leurs habitations y touchent ; ils demeurent séparés et à distance, selon qu’une source, une plaine, un bois, les a attirés dans un certain lieu. Ils forment des villages, non pas comme nous, par des édifices liés ensemble et contigus ; chacun entoure sa maison d’un espace vide… » Des trois peuples germaniques qui envahirent les Gaules, Bourguignons, Visigoths et Francs, ces derniers, au milieu du VIe siècle, dominaient seuls toute la Gaule, sauf une partie du Languedoc et la Bretagne ; et de ces trois peuples, les Francs étaient ceux qui avaient le mieux conservé les mœurs des Germains[3]. Mais peu à peu ce peuple avait abandonné ses habitudes errantes ; il s’était établi sur le sol ; la vie agricole avait remplacé la vie des camps, et cependant il conservait son caractère primitif, son amour pour l’isolement et son aversion pour la vie civilisée des villes. Il ne faudrait pas se méprendre sur ce que nous entendons ici par isolement ; ce n’était pas la solitude, mais l’isolement de chaque bande de guerriers attachés à un chef. Cet isolement avait existé en Germanie, chez les peuples qui se précipitèrent en Occident, ainsi que le prouvent les textes que nous venons de citer. « Lorsque la tribu fut transplantée sur le sol gaulois, dit M. Guizot[4], les habitations se dispersèrent bien

  1. De bell. Gall., I, VI, c. 23.
  2. Demor. Germ., c. 16.
  3. Voy. l’Hist. de la civil. en France, par M. Guizot, leçon 8e.
  4. Hist. de la civil. en France, leçon 8e.