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cations profondes introduites dans les mœurs par le christianisme, appuyé sur le génie des peuples occidentaux ; c’est effacer plusieurs siècles d’un travail lent, mais persistant, qui se produisait au sein de la société : travail qui a développé les éléments les plus actifs et les plus vivaces de la civilisation moderne. Personne n’admire plus que nous l’antiquité, personne plus que nous n’est disposé à reconnaître la supériorité des belles époques de l’art des Grecs et des Romains sur les arts modernes ; mais nous sommes nés au XIXe siècle, et nous ne pouvons faire qu’entre l’antiquité et nous il n’y ait un travail considérable : des idées, des besoins, des moyens étrangers à ceux de l’antiquité. Il nous faut bien tenir compte des nouveaux éléments, des tendances d’une société nouvelle. Regrettons l’organisation sociale de l’antiquité, étudions-la avec scrupule, recourons à elle ; mais n’oublions pas que nous ne vivons ni sous Périclès ni sous Auguste ; que nous n’avons pas d’esclaves ; que les trois quarts de l’Europe ne sont plus plongés dans l’ignorance et la barbarie au grand avantage du premier quart ; que la société ne se divise plus en deux portions inégales, la plus forte absolument soumise à l’autre ; que les besoins se sont étendus à l’infini ; que les rouages se sont compliqués ; que l’industrie analyse sans cesse tous les moyens mis à la disposition de l’homme, les transforme ; que les traditions et les formules sont remplacées par le raisonnement, et qu’enfin l’art, pour subsister, doit connaître le milieu dans lequel il se développe. Or la construction des édifices, au moyen âge, est entrée dans cette voie toute nouvelle. Nous en gémirons, si l’on veut ; mais le fait n’en existera pas moins, et nous ne pouvons faire qu’hier ne soit la veille d’aujourd’hui. Ce qu’il y a de mieux alors, il nous semble, c’est de rechercher dans le travail de la veille ce qu’il y a d’utile pour nous aujourd’hui, et de reconnaître si ce travail n’a pas préparé le labeur du jour. Cela est plus raisonnable que de le mépriser.

On a prétendu souvent que le moyen âge est une époque exceptionnelle, ne tenant ni à ce qui la précède ni à ce qui la suit, étrangère au génie de notre pays et à la civilisation moderne. Cela est peut-être soutenable au point de vue de la politique, quoiqu’un pareil fait soit fort étrange dans l’histoire du monde, où tout s’enchaîne ; mais l’esprit de parti s’en mêlant, il n’est pas de paradoxe qui ne trouve des approbateurs. En architecture, et surtout en construction, l’esprit de parti ne saurait avoir de prise, et nous ne voyons pas comment les principes de la liberté civile, comment les lois modernes sous le régime desquelles nous avons le bonheur d’être nés se trouveraient attaqués, quand on aurait démontré que les constructeurs du XIIe siècle savaient bien bâtir, que ceux du XIIIe siècle étaient fort ingénieux et libres dans l’emploi des moyens, qu’ils cherchaient à remplir les programmes qu’on leur imposait par les procédés les plus simples et les moins dispendieux, qu’ils raisonnaient juste et connaissaient les lois de la statique et de l’équilibre des forces. Une coutume peut être odieuse et oppressive ; les abbés et les seigneurs féodaux ont été, si l’on veut, des dissipateurs, ont exercé un despotisme insupportable, et les monastères