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rien ; le principe d’équilibre des forces a remplacé le système de stabilité inerte. Tout édifice, à la fin du XIIe siècle, se compose d’une ossature rendue solide par la combinaison de résistances obliques ou de pesanteurs verticales opposées aux poussées, et d’une enveloppe, d’une chemise qui revêt cette ossature. Tout édifice possède son squelette et ses membranes ; il n’est plus qu’une charpente de pierre indépendante du vêtement qui la couvre. Ce squelette est rigide ou flexible, suivant le besoin et la place ; il cède ou résiste ; il semble posséder une vie, car il obéit à des forces contraires, et son immobilité n’est obtenue qu’au moyen de l’équilibre de ces forces, non point passives, mais agissantes. Déjà nous avons pu apprécier les propriétés de ce système dans la description que nous avons donnée des constructions du chœur de l’église de Notre-Dame de Châlons-sur-Marne (fig. 41, 42 et 43) ; mais combien cette construction paraît grossière et cherchée à la fois, mesquine et compliquée, si nous la comparons aux belles constructions bourguignonnes de la première moitié du XIIIe siècle. Là, tout est clair, franc, facile à comprendre ; et quelle hardiesse savante ! hardiesse de gens qui sont certains de ne point faillir, parce qu’ils ont tout prévu, qu’ils n’ont rien laissé au hasard, et connaissent les limites que le bon sens interdit de franchir.

Nous avons atteint la période de la construction au moyen âge pendant laquelle la nature des matériaux employés va jouer un rôle important. Nous ne saurions passer sous silence des observations qui doivent être comme l’introduction aux méthodes de bâtir des architectes gothiques. On avait construit une si grande quantité d’édifices publics et privés pendant le XIIe siècle, qu’on ne peut être surpris de trouver chez les constructeurs une connaissance approfondie des matériaux propres à bâtir et des ressources que présente leur emploi. Les hommes qui ne peuvent acquérir une instruction très-étendue, faute d’un enseignement complété par les observations successives de plusieurs siècles, sont obligés de suppléer à cette pauvreté élémentaire par la sagacité de leur intelligence ; ne pouvant s’appuyer sur des documents qui n’existent pas, il leur faut faire eux-mêmes ces observations, les recueillir, les classer, en former une doctrine. La pratique seule les dirige ; ce n’est que plus tard que les règles s’établissent, et il faut bien l’avouer, si complète que soit la théorie, si nombreuses et bonnes que soient les règles, elles ne parviennent jamais à remplacer les observations basées sur une pratique de chaque jour. À la fin du XIIe siècle, les constructeurs avaient remué et taillé une si grande quantité de pierres qu’ils étaient arrivés à en connaître exactement les propriétés, et à employer ces matériaux, en raison de ces propriétés, avec une sagacité fort rare. Alors, ce n’était pas, comme aujourd’hui, une chose facile que de se procurer de la pierre de taille ; les moyens de transport et d’extraction étaient insuffisants, il fallait se fournir sur le sol ; il n’était pas possible de se procurer des pierres de provenances éloignées : c’était donc au moyen des ressources locales que l’architecte devait élever son édifice, et souvent ces ressources étaient faibles. On ne tient pas assez