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l’architecture romaine, parce que sa décoration n’est qu’un vêtement qui n’est pas toujours parfaitement adapté à la chose qu’il recouvre ; on ne saurait mentir avec l’architecture gothique, car cette architecture est avant tout une construction. C’est principalement dans les édifices de l’Île-de-France que l’on peut constater l’application de ce principe. Nous avons vu qu’en Bourgogne, grâce à la qualité excellente des matériaux et à la possibilité de les extraire en grands morceaux, les architectes ont pu se permettre certaines hardiesses qui peuvent passer pour des tours de force. Ce défaut ne saurait être reproché aux architectes de l’Île-de-France ou à leur école ; ces constructeurs sont sages, ils savent se maintenir dans les limites que la matière impose, et même lorsque l’architecture gothique se lance dans l’exagération de ses propres principes, ils conservent encore, relativement, la modération, qui est le cachet des hommes de goût.

Les bassins de la Seine et de l’Oise possèdent des bancs calcaires excellents, mais dont les épaisseurs sont faibles lorsque les matériaux sont durs, fortes lorsqu’ils sont tendres ; c’est du moins la loi générale. Les constructions élevées dans ces bassins se soumettent à cette loi.

Toute la partie antérieure de la cathédrale de Paris fut élevée dès les premières années du XIIIe siècle ; comme construction, c’est une œuvre irréprochable. Tous les membres de l’immense façade occidentale, supérieure comme échelle à tout ce que l’on construisit à cette époque, sont exactement soumis à la dimension des matériaux employés. Ce sont les hauteurs de bancs qui ont déterminé les hauteurs de toutes les parties de l’architecture.

Jusqu’à présent, en fait de constructions primitives de l’époque gothique, nous n’avons guère donné que des édifices d’une dimension médiocre ; or les procédés qui peuvent être suffisants lorsqu’il s’agit de construire un petit édifice, ne sont pas applicables lorsqu’il s’agit d’élever des masses énormes de matériaux à une grande hauteur. Les architectes laïques du XIIIe siècle, praticiens consommés, ont très-bien compris cette loi, tombée aujourd’hui dans l’oubli, malgré nos progrès scientifiques et nos connaissances théoriques sur la force et la résistance des matériaux propres à bâtir. Les Grecs n’ont guère élevé que des monuments petits relativement

    souvent répété : « Ne faites que le strict nécessaire, laissez à des temps meilleurs le soin d’achever, de sculpter, de ravaler, etc. » La réponse était difficile, car il eût fallu faire suivre un cours d’architecture gothique aux personnes qui nous ouvraient ces avis, pour leur faire comprendre que dans les édifices gothiques tout se tient, que la pierre est posée ravalée et sculptée, et qu’on ne peut, à vrai dire, construire un monument gothique en laissant quelque chose à faire à ceux qui viendraient après nous. Au point de vue de l’art, est-ce donc là un défaut ? Et n’est-ce donc pas, au contraire, le plus bel éloge que l’on puisse faire d’une architecture, de dire, après l’avoir démontré, que tout ce qui la constitue est si intimement lié, que sa parure fait si bien partie de sa structure, que l’on ne peut séparer l’une de l’autre ?