Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, tome 4.djvu/167

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
[construction]
[développements]
— 164 —

souvent de matériaux faibles. Dans le nord, ils ne construisent qu’en pierre ; mais ils emploient simultanément, dans le même édifice, la pierre appareillée par assises, posée sur son lit de carrière, le gros moellon noyé dans le mortier, masse compressible au besoin, et les blocs en délit, étaient rigides, inflexibles, pouvant être, dans certains cas, d’un grand secours. L’élasticité étant la première de toutes les conditions à remplir dans des monuments élevés sur des points d’appui grêles, il fallait pourtant trouver, à côté de cette élasticité, une rigidité et une résistance absolues. C’est faute d’avoir pu ou voulu appliquer ce principe dans toute sa rigueur que la cathédrale de Beauvais n’a pu se maintenir. Là, l’élasticité est partout. Ce monument peut être comparé à une cage d’osier… Nous y reviendrons tout à l’heure, car ses défauts même sont un excellent enseignement… Ne quittons pas sitôt notre cathédrale de Paris. La coupe d’un des contre-forts des tours fait assez voir que les constructeurs du commencement du XIIIe siècle n’empilaient pas les pierres les unes sur les autres sans prévision et sans se rendre compte des effets qui se produisaient dans d’aussi grands édifices par suite des lois de la pesanteur. Leur maçonnerie vit, agit, remplit une fonction, n’est jamais une masse inerte et passive. Aujourd’hui, nous bâtissons un peu nos édifices comme un statuaire fait une statue ; pourvu que la forme humaine soit passablement observée, cela suffit ; ce n’en est pas moins un bloc inorganisé. L’édifice gothique a ses organes, ses lois d’équilibre, et chacune de ses parties concourt à l’ensemble par une action ou une résistance. Tout le monde n’a pu voir l’intérieur des contre-forts des tours de Notre-Dame de Paris, et nous prévoyons l’objection qui nous a quelquefois été adressée, savoir : que notre imagination nous fait prêter à ces artistes des siècles passés des intentions qu’ils n’ont jamais eues. Prenons donc pour les esprits défiants un exemple qu’ils pourront vérifier avec la plus grande facilité dans le même monument. Les grandes voûtes de la nef de la cathédrale de Paris sont composées, comme chacun peut le voir, d’arcs diagonaux comprenant deux travées et recoupés d’un arc doubleau ; c’est le système primitif des voûtes gothiques longuement développé dans cet article. Il résulte de cette combinaison que les piliers de la grande nef sont chargés inégalement, puisque, de deux en deux, ils reçoivent un arc doubleau seulement ou un arc doubleau et deux arcs ogives, et cependant ces piliers de la grande nef sont tous d’un diamètre égal. Il y a là quelque chose de choquant pour la raison, dans un très-grand édifice surtout, puisque ces charges inégales doivent produire des tassements inégaux, et que si les piles qui reçoivent trois arcs sont assez puissantes, celles qui n’en reçoivent qu’un le sont trop ; si, au contraire, celles qui ne reçoivent qu’un arc sont d’un diamètre convenable, celles qui en reçoivent trois sont trop grêles. En apparence, il n’y a rien à objecter à cette critique, et nous devons avouer que nous avons été longtemps à nous expliquer un pareil oubli des principes les plus simples chez des artistes procédant toujours par le raisonnement.