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sur l’extrados de ces arcs doubleaux et sur les deux cintres diagonaux en charpente.

Dans les constructions élevées chez tous les peuples constructeurs, les déductions logiques se suivent avec une rigueur fatale. Un pas fait en avant ne peut jamais être le dernier ; il faut toujours marcher : du moment qu’un principe est le résultat du raisonnement, il en devient bientôt l’esclave. Tel est l’esprit des peuples occidentaux ; il perce dès que la société du moyen âge commence à se sentir et à s’organiser ; il ne saurait s’arrêter, car le premier qui établit un principe sur un raisonnement ne peut dire à la raison : « Tu n’iras pas plus loin. » Les constructeurs, à l’ombre des cloîtres, reconnaissent ce principe dès le XIe siècle. Cent ans après, ils n’en étaient plus les maîtres. Évêques, moines, seigneurs, bourgeois, l’eussent-ils voulu, n’auraient pu empêcher l’architecture romane de produire l’architecture dite gothique : celle-ci n’était que la conséquence fatale de la première. Ceux qui veulent voir dans l’architecture gothique (toute laïque) autre chose que l’émancipation d’un peuple d’artistes et d’artisans auxquels on a appris à raisonner, qui raisonnent mieux que leurs maîtres et les entraînent malgré eux bien loin du but que tout d’abord ils voulaient atteindre, avec les forces qu’on a mises entre leurs mains ; ceux qui croient que l’architecture gothique est une exception, une bizarrerie de l’esprit humain, n’en ont certes pas étudié le principe, qui n’est autre que l’application rigoureusement suivie du système inauguré par les constructeurs romans. Il nous sera aisé de le démontrer. Poursuivons.

Nous voyons déjà, à la fin du XIe siècle, le principe de la voûte d’arête romaine mis de côté[1]. Les arcs doubleaux sont admis définitivement comme une force vive, élastique, libre, une ossature sur laquelle repose la voûte proprement dite. Si les constructeurs admettaient que ces cintres permanents fussent utiles transversalement, ils devaient admettre de même leur utilité longitudinalement. Ne considérant plus les voûtes comme une croûte homogène, concrète, mais comme une suite de panneaux à surfaces courbes, libres, reposant sur des arcs flexibles ; la rigidité des murs latéraux contrastait avec le nouveau système ; il fallait que ces panneaux fussent libres dans tous les sens, autrement les brisures, les déchirements eussent été d’autant plus dangereux que ces voûtes eussent été portées sur des arcs flexibles dans un sens et sur des murs rigides dans l’autre. Ils bandèrent des formerets d’une pile à l’autre, sur les murs, dans le sens longitudinal. Ces formerets ne sont que des demi-arcs doubleaux noyés en partie dans le mur, mais ne dépendant pas de sa construction. Par ce moyen, les voûtes reposaient uniquement sur les piles, et les murs ne devenaient que des clôtures, qu’à la rigueur on

  1. C’est dans la nef de l’église de Vézelay qu’il faut constater l’abandon du système romain. Là les voûtes hautes d’arêtes, sur plan barlong, sont déjà des pénétrations d’ellipsoïdes, avec arcs doubleaux saillants et formerets.