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[civile]
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situés de manière à faire jouir leurs habitants de l’aspect des sites qui les entourent. Leur construction s’harmonise avec les localités ; sauvage et grandiose dans les lieux abrupts, élégante et fine au pied de riants coteaux, sur les bords des rivières tranquilles, au milieu de plaines verdoyantes. Dans les habitations, les vues sur les points les plus pittoresques sont toujours ménagées avec art et de façon à présenter des aspects imprévus et variés. Il faut donc, lorsqu’on étudie les constructions civiles du moyen âge, avoir égard au lieu, à la nature du climat, au site, car tout cela exerçait une influence sur le constructeur. Tel bâtiment qui est convenablement disposé et construit en plaine, dans une contrée douce et tranquille d’aspect, serait ridicule au sommet d’un rocher sauvage, entouré de précipices. Tel autre, par son caractère sévère, brutal même, semble tenir au sol désolé sur lequel il s’élève, mais paraîtrait difforme et grossier entouré de prairies et de vergers. Ces hommes barbares, au dire de plusieurs, étaient donc sensibles aux beautés naturelles, et leurs habitations reflétaient, pour ainsi dire, ces divers genres de beauté, se mettaient en harmonie avec elles. Nous qui sommes civilisés et qui prétendons avoir inventé le pittoresque, nous élevons des pavillons élégants sur quelque site agreste qui semble destiné à porter une forteresse, et nous bâtissons des constructions massives au bord d’un ruisseau courant à travers des prés. Ceci nous ferait croire que ces barbares du moyen âge aimaient et comprenaient la nature, sans en faire autrement de bruit, et que nous, qui la vantons à tout propos, en prose et en vers, nous la regardons d’un œil distrait, sans nous laisser pénétrer par ses beautés. Les siècles sont comme les individus, ils veulent toujours qu’on les croie doués des qualités qui leur manquent et se soucient médiocrement de celles qu’ils possèdent. Tout le monde se battait pour la religion au XVIe siècle, et les neuf dixièmes des combattants, d’une part comme de l’autre, ne croyaient même pas en Dieu. On se piquait de chevalerie et de belles manières au XVIIe siècle, et les esprits se tournaient très-fort, à cette époque déjà, vers les idées positives et la satisfaction des besoins matériels. On ne parlait, au XVIIIe siècle, que de vertu, de nature, de douce philosophie, quand la vertu n’était guère de mise, qu’on observait la nature à travers les vitres de son cabinet, et qu’en fait de douce philosophie on ne pratiquait que celle appuyée sur un bien-être assuré pour soi et ses amis.

Revenons à nos bâtisses… Le système de constructions en encorbellement était fort en vogue, dès le XIIe siècle, dans les bâtiments civils ; c’est qu’en effet il est économique et présente quantité de ressources, soit pour soutenir des planchers, pour éviter de fortes épaisseurs de murs et des fondations considérables, recevoir des charpentes, porter des saillies, obtenir des surfaces plus étendues dans les étages supérieurs des bâtiments qu’à rez-de-chaussée, trouver des dégagements, des escaliers de communication d’un étage à un autre, offrir des abris, etc. C’était encore une application de ce principe des architectes du moyen âge,