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pouvant basculer, l’encorbellement A ne tend plus qu’à glisser de B en G. Or il s’agit de rendre le frottement assez puissant sur ce lit DG au moyen de la charge verticale E pour empêcher ce glissement. Les encorbellements possèdent donc deux propriétés : le soulagement des portées au moyen des bascules arrêtées par les charges en queue, et l’action de résistance aux poussées obliques par l’augmentation des surfaces de frottement.

On reconnaît donc que, dans tous les cas, les constructeurs du moyen âge emploient les résistances actives, c’est-à-dire le système d’équilibre, au lieu du principe des résistances passives de la construction romaine. Comme toujours, d’ailleurs, ces constructeurs poussent les conséquences d’un principe admis jusqu’à ses dernières limites ; ils ne semblent pas connaître ces impossibilités que notre art moderne oppose, sous forme de veto académique, aux tentatives hardies. La construction, pour eux, n’est pas cette science qui consiste à dire : « Voici les règles, voici les exemples, suivez-les, mais ne les franchissez pas. » Au contraire, la science, pour eux, dit : « Voici les principes généraux, ils sont larges, ils n’indiquent autre chose que des moyens. Dans l’application, étendez-les autant que la matière et votre expérience vous le permettent ; nous ne vous demandons que de rester fidèles à ces principes généraux : d’ailleurs, tout est possible à celui qui les sait appliquer. » Est-ce là un art stationnaire, hiératique, étranger à l’esprit moderne, comme on a prétendu si longtemps nous le faire croire ? Est-ce rétrograder que de l’étudier, de s’en pénétrer ? Est-ce la faute de cet art si beaucoup n’en traduisent que l’apparence extérieure, en compromettent le développement par des pastiches maladroits ? Imputons-nous à l’antiquité les mauvaises copies de ses arts ? Pourquoi donc faire retomber sur les arts du moyen âge en France les fausses applications qu’on a pu en faire, soit en Italie avant la renaissance, soit chez nous de notre temps ? Depuis le moment où il a été admis qu’il n’y avait d’architecture qu’en Italie, que les architectes ont été, comme des moutons marchant sur les pas les uns des autres, étudier leur art dans cette contrée, l’enseignement académique n’a voulu voir le moyen âge que là. Or les édifices du moyen âge en Italie sont, au point de vue de la structure, des bâtisses médiocrement entendues. Presque toujours ce ne sont que des constructions dérivées de l’antiquité romaine, revêtues d’une assez méchante enveloppe empruntée aux arts du Nord ou de l’Orient. À coup sûr, ce n’est pas là ce qu’il faut aller étudier au delà des monts. Comme construction, on n’y trouve ni principes arrêtés, ni suite, mais un amas désordonné de traditions confuses, des influences qui se combattent, un amour barbare pour le luxe à côté d’une impuissance évidente[1]. Qu’est-ce que les basi-

  1. Un seul exemple pour prouver que nous n’exagérons pas. Nous avons vu, dans cet article, à la suite de quels efforts persistants les constructeurs du Nord sont arrivés à se rendre maîtres de la poussée des voûtes, et dans quelles conditions ils voulaient assurer la stabilité de ces voûtes. Or, en Italie, les écartements des arcs des monuments voûtés