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de misérables brutes ; que cette société est mue par de ridicules superstitions, et se soucie peu de la morale ; mais nous voyons à travers ce chaos naître sans bruit une classe d’hommes qui ne sont ni religieux, ni nobles, ni paysans, s’emparant de l’art le plus abstrait, celui qui se prête aux calculs, aux développements logiques ; de l’art auquel chacun doit recourir, car il faut se loger, se garder, se défendre, faire des temples, des maisons et des forteresses. Nous voyons cette classe attirer autour d’elle tous les artisans, les soumettre à sa discipline. En moins d’un demi-siècle, cette association de travailleurs infatigables a découvert des principes entièrement nouveaux, et qui peuvent s’étendre à l’infini ; elle a fait pénétrer dans tous les arts l’analyse, le raisonnement, la recherche, à la place de la routine et des traditions décrépites ; elle fonde des écoles ; elle marche sans s’arrêter un jour, isolée, mais ordonnée, tenace, subtile, au milieu de l’anarchie et de l’indécision générale. Elle franchit les premiers échelons de l’industrie moderne dont nous sommes fiers avec raison ; et parce que cette association passe son temps au travail au lieu de tracer des mémoires à sa louange ; parce que ses membres, plus soucieux de faire triompher leurs principes que d’obtenir une gloire personnelle, inscrivent à peine leurs noms sur quelques pierres ; qu’à force de recherches ils arrivent à l’abus même de ces principes ; parce qu’enfin cette association est écrasée sous les trois derniers siècles dont la vanité égale au moins l’éclat, nous serions assez ingrats aujourd’hui pour ne pas reconnaître ce que nous lui devons, assez fous pour ne pas profiter de son labeur ? Et pourquoi cette ingratitude et cette folie ? Parce que quelques esprits paresseux ont leur siège fait et prétendent conserver les principes d’un art mort, qu’ils se gardent de mettre en pratique, qu’ils n’énoncent même pas clairement ? Qui sont les esprits rétrogrades ? Sont-ce ceux qui nous condamneraient à reproduire éternellement les tentatives incomplètes ou mal comprises faites par les trois derniers siècles pour régénérer l’architecture des Romains, ou ceux qui cherchent à remettre en honneur les ressources d’un art raisonné et audacieux à la fois, se prêtant à toutes les combinaisons et à tous les développements que nécessitent les besoins variables de la civilisation moderne ? La balance de l’histoire des arts serait juste si on voulait la tenir d’une main impartiale, si on ne mettait pas toujours dans ses plateaux des noms au lieu d’y placer des faits, des individualités au lieu de monuments. Qu’avons-nous, en effet, à opposer à des noms comme ceux de Dioti Salvi, d’Arnolpho di Lapo, de Brunelleschi, de Michelozzo, de Baltazar Peruzzi, de Bramante, de San Micheli, de Sansovino, de Pirro Ligorio, de Vignola, d’Ammanati, de Palladio, de Serlio, de Jean Bullant, de Pierre Lescot, de Philibert Delorme, de Ducerceau, etc. ? Deux ou trois noms à peine connus. Mais si nos monuments français du moyen âge pouvaient parler ; s’ils pouvaient nous donner les noms modestes de leurs auteurs ; si surtout, en face des œuvres des hommes que nous venons de citer, ils pouvaient nous montrer tous les mystères de leur construction, certainement alors l’histoire leur