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immédiat. Rien ne coûte à Richard Cœur-de-Lion quand il veut élever la forteresse des Andelis, le château Gaillard, ni les usurpations, ni les sacrifices, ni les violences, ni l’argent ; il commence l’édification de la place, malgré l’archevêque de Rouen, bien que la ville d’Andeli lui appartînt. La Normandie est déclarée en interdit, à l’instigation du roi de France. L’affaire est portée aux pieds du pape, qui conclut à une indemnité en faveur du prélat et lève l’interdit. Mais pendant ces protestations, ces menaces, ces discussions, Richard ne perd pas une journée ; il est là, surveillant et activant les ouvriers ; sa forteresse s’élève, et en un an elle est construite, et bien construite, la montagne et les fossés taillés, la place en état complet de défense, et l’une des plus fortes du nord de la France. Quand Enguerrand III fit élever le château de Coucy, c’était dans la prévision d’une lutte prochaine et terrible avec son suzerain. Un mois de retard pouvait faire échouer ses projets ambitieux ; aussi peut-on voir encore aujourd’hui que les énormes travaux exécutés sous ses ordres furent faits avec une rapidité surprenante, rapidité qui ne laisse passer aucune négligence. De la base au fait, ce sont les mêmes matériaux, le même mortier, bien mieux, les mêmes marques de tâcherons ; nous en avons compté, sur les parements encore visibles, près d’une centaine. Or chaque marque de tâcheron appartient à un tailleur de pierre, comme encore aujourd’hui en Bourgogne, en Auvergne, dans le Lyonnais, etc.[1] Cent tailleurs de pierre, de nos jours, donnent les proportions suivantes dans les autres corps d’ouvriers, en supposant une construction semblable à celle d’Enguerrand III :

Tailleurs de pierre 
100
Traceurs, appareilleurs, souffleurs 
20
Bardeurs, pinceurs, poseurs 
100
Terrassiers, manœuvres, corroyeurs 
200
Maçons et aides 
200

Pour approvisionner les chantiers :

Carriers et chaufourniers 
100
Tireurs de sable 
25
Charretiers et aides 
50
Total 795
Soit, nombre rond.     800

Huit cents ouvriers occupés à la maçonnerie seulement supposent un nombre à peu près égal de charpentiers, serruriers, plombiers, couvreurs,

  1. Les marques gravées sur les parements vus, par les tailleurs de pierre, étaient faites pour permettre au chef d’atelier de constater le travail de chacun ; ces marques prouvent que le travail était payé à la pièce, à la tâche, et non à la journée (voy. Corporation) ; de plus, elles donnent le nombre des ouvriers employés, puisque chacun avait la sienne.