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Ce système de corniches est généralement adopté dans les provinces du centre, dans toute l’Aquitaine et le Languedoc, pendant le XIe et la première moitié du XIIe siècle. En Bourgogne, l’époque romane nous fournit une grande variété de corniches. Il faut observer, d’ailleurs, que les corniches prennent d’autant plus d’importance, présentent des saillies d’autant plus prononcées qu’elles appartiennent à des contrées riches en beaux matériaux durs. Dans l’Île-de-France, en Normandie et dans le Poitou, on n’employait guère, avant le XIIe siècle, que les calcaires tendres si faciles à extraire dans les bassins de la Seine, de l’Oise, de l’Eure, de l’Aisne et de la Loire. Ces matériaux ne permettaient pas de faire des tablettes minces et saillantes. Les architectes s’en défiaient, non sans raison, et ils avaient pris l’habitude d’élever leurs bâtisses en petites pierres d’échantillon, c’est-à-dire ayant toutes à peu près la même dimension. Des carrières, on leur apportait des provisions de pierres toutes équarries[1], de huit pouces ou d’un pied de hauteur sur une épaisseur pareille, et sur une longueur de dix-huit à vingt-quatre pouces. Ils s’arrangeaient pour que tous les membres de l’architecture pussent concorder avec ces dimensions. On comprend qu’alors ils ne pouvaient donner une forte saillie à leurs corniches. Les monuments romans, si communs sur les bords de l’Oise, ne présentent ni corniches ni bandeaux saillants, et tout l’effet produit par ces membres de l’architecture est dû à une étude très-fine et judicieuse des rapports entre les parties lisses de la construction et les parties moulurées. La Bourgogne, au contraire, fournit des pierres dures, basses, et qu’il est facile d’extraire en grands morceaux ; aussi, dans cette province, les corniches ont une énergie de profils, présentent des variétés de composition que l’on ne trouve point ailleurs en France.

Sur les bas-côtés de la nef de l’église abbatiale de Vézelay (dernières années du XIe siècle), on voit une corniche construite toujours d’après le principe roman, c’est-à-dire composée de corbeaux portant une tablette saillante ; mais son caractère ne rappelle en rien les corniches des provinces du centre. Comme style, elle leur est très-supérieure. Nous la donnons ici (3) dans tous ses détails, vue en perspective et en coupe. Le corbeau est bien franchement accusé, il a tous les caractères d’un bout de solive de bois ; mais ses profils retournent devant la tablette de manière à former un encadrement autour des rosaces doubles qui sont, entre ces corbeaux, comme des métopes inclinées, comme des panneaux de bois embrévés au moyen de languettes. La construction est parfaitement d’accord avec la forme apparente ; les corbeaux sont des pierres longues pénétrant dans la maçonnerie ; la tablette est large, et les entre-corbeaux ne sont que des carreaux de pierre de 0,20 c. à 0,25 c. de profondeur. C’est là vraiment l’extrémité d’un comble en charpente reposant sur un

  1. Cette méthode est encore suivie dans le Poitou, dans la Saintonge, dans l’Angoumois et sur les bords de la Loire-Inférieure, ainsi que dans le département de l’Aisne.